« Je vous appelle amis »

« Je vous appelle amis » : Commentaire de Charles Wright

.

Le mot « ami »

Il y a un mot qui m’a sauté au visage : évidemment, c’est le mot « ami » : « Je vous appelle amis ! ». Et ce mot, on l’a tellement entendu, justement, eh bien, qu’on ne l’entend plus. Nos oreilles un peu habituées ne s’étonnent plus de sa présence. Ce que je vous propose simplement, c’est de le faire résonner, et de voir ce que ça veut dire concrètement dans notre… existentiellement de mettre sa confiance dans un Dieu qui se dit « ami ».

.

Dieu

… En toute honnêteté, moi, le mot « Dieu », je ne peux plus le sentir … C’est un mot que je ne peux plus prononcer. Je trouve qu’il faudrait, quand on prononce ce mot, retrouver la sobriété des anciens qui disaient que Dieu est l’inconnu, l’ineffable, l’incompréhensible. Or parfois, on le met, y compris dans la spiritualité chrétienne, on le met à toutes les sauces : Dieu veut ceci, Dieu veut cela… la volonté de Dieu. Moi, j’ai une réaction de raidissement qui m’interpelle, et je pense que ce qui se joue là, c’est que ce mot est très équivoque, le mot « Dieu ». Quand on le prononce, on ne s’en rend plus compte, mais il y a des siècles de représentations, de visions, de définitions qui affleurent, qui sont cristallisées dans ce mot. Quand on dit le mot « Dieu », il y a le dieu des Grecs, le dieu jupitérien, le dieu de la métaphysique, le dieu du théisme, le dieu du cosmos, cet espèce d’être immobile comme ça qui est immuable, qui est la cause de toute chose et… je comprends qu’on soit athée de ces dieux-là. Ils ne sont plus croyables, et ils donnent raison à tous ceux qui disent que Dieu, c’est une invention des hommes, c’est une projection de nos fantasmes, de notre narcissisme… je ne sais pas…
Mais le Dieu de Jésus-Christ, « ami des hommes », eh bien, il vient complètement nous désencombrer de cet imaginaire, de cette quincaillerie un peu idolâtrique 

.

Libérés de la peur

Conséquences concrètes dans nos existences. La première, elle est incroyable, mais c’est qu’on n’a plus peur, on est libéré de la peur, il n’y a plus besoin d’avoir peur. Dans la plupart des systèmes religieux, les hommes ont peur des dieux, et la religion, c’est un système de sacrifices, de trucs expiatoires pour apaiser la colère, la tenir à distance. Et quand Saint Jean désigne Dieu comme un ami, c’en est fini avec ce dieu pervers, avec ce dieu sadique, janséniste, qui broie l’homme, qui voit tout, qui sait tout, qui est tyrannique, qui réclame des sacrifices… On ne fait pas un sacrifice à un ami : on lui donne de la tendresse, on lui donne de la présence. Donc, l’air de rien, c’est l’abolition de toute une spiritualité sacrificielle, acétique, qui a éloigné beaucoup, beaucoup de monde de l’Église. Et puis, c’est une grande libération, aussi : on sort de l’esclavage. Dieu n’est plus là pour autoriser ou interdire, mais pour enfanter des hommes libres qui inventent leur vie, justement, avec l’esprit de liberté. Ça, c’est la première conséquence existentielle qui est, quand même, incroyable.

.

Une réalité devenue amicale

La deuxième, c’est que, croire dans un Dieu qui… mettre sa confiance dans un Dieu qui est ami, c’est que la réalité devient amicale … Croire dans un Dieu qui quitte sa suréminence, pour s’incarner, pour s’humaniser, ça nous libère complètement de ce schéma. Il n’y a plus rien de profane, parce que tout est sacré. En prenant corps, en prenant chair, le Christ a tout béni : tout est bon, voilà, la réalité du monde n’est plus un écran : c’est un écrin ! On n’est plus exilé dans la matière, parce que la matière est habitée par Dieu. Et donc, on est appelé, comme disaient les jésuites, à « trouver Dieu en toute chose », dans le matériel, dans le charnel, dans le sexuel, dans le quotidien, dans l’ordinaire le plus prosaïque. Et donc, ce n’est plus une spiritualité du détachement, mais de l’attachement. S’engager dans le monde, aimer, se lier, fraterniser, avoir un regard qui sait voir la beauté des choses, des êtres, des situations, cultiver la gratitude d’être au monde …

.

Devenir des êtres d’amitié

Et, troisième point, puisque la vie chrétienne, c’est essayer de vivre dans le style de ce vieux rabbi nazaréen, eh bien, c’est une invitation pour nous, en tout cas pour moi, à essayer de devenir des êtres d’amitié … aider les autres à vivre, trouver notre joie dans leur joie, c’est ça en fait ce que font les amis, et je pense que c’est un chouette programme de vie, en tout cas pour moi, et je vous le partage à la suite de celui qui s’est agenouillé pour nous par amitié.

« Vous êtes mes amis » (Jn 15 : 14)

.

Charles WRIGHT

.

(Charles Wright est écrivain et journaliste. La soif d’absolu qui le traverse depuis toujours et le sentiment d’une Présence qui l’accompagne, le poussent à rejoindre la liberté de Jésus sur Le chemin des estives, comme il le raconte dans un superbe livre réédité aux éditions J’ai lu.

« Derrière tout départ, il y a une fuite, la tristesse de n’être que soi, et il y a un appel, une soif, un désir d’espace et d’infini. »)

.

Extrait du site https://www.leprieure.be/activites/des-echos/5923-jeudi-saint

L’ÉVANGILE EN DEHORS DES CLOUS avec Charles Wright

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *