Voyage en terre d’asile

Proposé par J.C. –

Libres de leur parole, nos voyageurs nous racontent cet Autre si proche de Nous. Libres de leurs actes, ils agissent, non pas par devoir ou mus par quelconque culpabilité judéo-chrétienne. Non, ils agissent car ils voient en l’Autre : un frère, une sœur, un enfant qui Nous ressemblent.

« Nous savons que l’autre est en nous »
Edouard Glissant

https://www.voyageenterredasile.com/

Témoignage d’hippolyte

En 2020, je me suis retrouvé comme reporter embarqué à bord de l’Ocean Viking, le navire de secours de SOS Méditerranée succédant à l’Aquarius. Un reporter doit témoigner d’une situation, et pour témoigner il faut comprendre, et pour comprendre il faut aller voir.

C’est aussi simple que cela. Si on ne voit pas, si on ne comprend pas, alors on ne sait pas.

Ce que j’ai vu alors m’a totalement dépassé de par son ampleur. Son ampleur de détresse et de beauté entremêlées. En deux mois, nous avons porté secours à plus de 800 personnes en détresse en mer. Des personnes de tous horizons, des hommes, des femmes, des mineurs, des enfants et des bébés. Beaucoup de bébés.

Ils venaient de 34 pays, pour des parcours de parfois plus de 3 ans entre leur pays d’origine et le moment où nous les avons recueillis. Aucune histoire n’était similaire. Ils avaient tous leur propre histoire. Plus de 800 histoires différentes qui méritaient chacune une seule chose : de la considération et du répit.

Toutes ces histoires avaient malgré tout des points communs, ils étaient tous passés par la Libye, y avaient tous vécu l’enfer et la torture, et ne savaient pas ce qui les attendaient en Europe. Sinon l’espoir d’une vie meilleure. Enfin. Du répit. On n’endure pas tout cela sans raison. Ce n’est pas humain. Eux, voulaient juste un peu une vie meilleure.

Lors du premier sauvetage auquel j’ai participé, l’embarcation en détresse était remplie de bébés. C’était inhabituel, mais dans la détresse il n’y a pas de règles pré-établies. On s’adapte pour survivre ou on périt.

Je me suis retrouvé à devoir m’occuper de tous les bébés, de les placer sur le bateau de secours, de les rassurer, de les calmer. Le premier de quelques mois a pris place dans mes bras, bercé par cette mer qui tangue et loin de la sienne, restée un temps sur le navire en détresse.

Illustration d’Hippolyte,
pour SOS Méditerranée, 2020

Nous équipions les autres enfants de gilets de sauvetages, tous hurlaient ou étaient terrorisés. Il n’y avait pas besoin de mots pour comprendre d’où ils venaient.

Le bébé à mon bras se mit à pleurer lui aussi, et moi la seule chose que je pouvais faire à ce moment-là, c’était lui donner mon doigt à la bouche, pour le rassurer, pour tenir.

Comme le ferait n’importe qui à ce moment-là.

C’était un vrai moment de beauté.

Les migrants avancent, puis ils deviennent rescapés à bord, avant de débarquer à nouveau dans l’inconnu. Sur le navire, nombreux étaient ceux qui me demandaient ce qu’ils devaient faire ensuite, ce qui les attendaient. Je n’avais aucune réponse à leur apporter, sinon espérer que d’autres personnes prennent soin d’eux, les guident, leur tendent la main.

Là encore, une fois en Europe, le parcours des migrants est bien souvent inimaginable, inconcevable pour le commun. 

Là, souvent, la détresse revient.

Là, encore, il faut aller voir pour comprendre.

Ou écouter et lire les personnes qui peuvent témoigner.

Céline Aho Nienne a vu tout cela, elle l’a compris et elle témoigne.

C’est aussi juste qu’indispensable.

Et les différentes rubriques qui jalonnent le manuel sont autant de mains tendues, de lumière dans la nuit du parcours des migrants et d’éclaircissement sur notre méconnaissance.

On ne mesure pas le chemin que ces personnes ont parcouru, on ne mesure pas la complexité de leurs histoires, on ne mesure pas la complexité sans cesse renouvelée pour entraver leur marche vers la vie, on ne mesure pas l’absence de répit qu’ils ont.

On ne peut que prendre la mesure de ceux qui tentent d’apporter un peu d’humanité et de beauté dans tout cela.

Hippolyte

Illustration d’Hippolyte, pour SOS Méditerranée, 2020

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