Transcendance et politique

La transcendance, c’est la conscience de se savoir traversé par quelque chose d’autre que soi. L’humilité de se savoir redevable – de savoir que je ne suis ce que je suis que parce que je suis « traversée ». Par Dieu, et par les autres : leurs propres inspirations, leurs visions, leurs colères, leurs désirs.

Je fais souvent cette prière à Dieu en lui demandant de me compléter. La transcendance en politique, ce pourrait être d’adresser cette prière aux autres. Au lieu de « détenir » le pouvoir, le partager avec d’autres et leur dire : « Complétez-moi ».

Lorsque Élie dans le désert désespère, il dit : « C’en est trop ! Maintenant Éternel, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères. » (1 Rois 19,4).

Je me dis : voilà bien le complexe de toute ma vie ! Ne plus rien oser entreprendre, car je ne sais pas comment m’y prendre. Mettre des enfants au monde dans l’angoisse que leur avenir soit pire que notre aujourd’hui, et ne pas savoir pour qui voter pour leur offrir un monde vivable…

Je ne suis pas une spécialiste de la vie politique. Tout humain doit être à sa mesure un spécialiste de la vie politique. Or, nos dirigeants ne nous encouragent pas à cette participation, à cette responsabilisation. Il ne s’agit pas d’être indulgent ou pas, il s’agirait déjà, basiquement, d’être en relation. Jésus lui-même vient m’encourager à me tenir debout, me mettre en marche, assumer de prendre ma part et de dire « je ».

Dans ma lecture de la Bible, un Dieu partage avec nous le pouvoir, nous en croit dignes, qui nous désire responsables et je nous vois préférer construire une Église qui invente des dogmes, des hiérarchies, des spécialistes…

Tout un système qui, comme sur la scène politique, permet à ceux qui jouissent du pouvoir de jouir tant qu’ils peuvent, et à ceux qui, comme moi, souffrent du complexe d’Élie de se défausser. Il n’y a pas plus de spécialistes de Dieu que de spécialistes de la « fragilité des affaires humaines ». Ce sont de grandes affaires qui ne s’abordent qu’à plusieurs. Tous les plusieurs.

La démocratie n’est pas, elle naît. Elle est toujours à mettre au monde. J’ajoute que l’Évangile aussi, et c’est en cela que le christianisme ne peut pas être une religion. La démocratie et l’Évangile ne peuvent vivre qu’en milieu ouvert.

C’est ce qui fait, à l’un comme à l’autre, leur fragilité. Mais c’est ce qui conditionne leur puissance et leur pertinence. En démocratie comme en Évangile, il faut être toujours prêt à se laisser déranger et à se mettre à l’écoute d’autre chose que soi…

Marion Muller-Collard, Théologienne ;

Réforme N° 3655 du 28 avril 2016

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