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Pour ne pas mourir, la France s’est arrêtée de vivre.
Pour ne pas mourir d’un virus invisible, les Français ont choisi de ne plus voir leur visage, de ne plus se voir entre eux, de ne plus rien voir d’autre que les murs de leur logement.
Vivre sous une tyrannie sanitaire, ce n’est plus vivre.
Parce que, n’en déplaise aux Mandarins à qui les ministres ont abandonné leur pouvoir politique depuis un an, l’Homme ne vit pas seulement de pain. Nécessaires, les boulangeries ? Oui, par décret. Nécessaires les librairies, les cinémas, les mille lieux de rencontre et de partage où se forge la convivialité ? Non, par décret.
Pour ne pas courir le risque de mourir, cessons de vivre !
Mourir ?
J’enfonce une porte ouverte : dès la naissance, nous sommes condamnés à mort.
L’enfant n’y pense pas, car il apprend à vivre. L’adulte n’y pense pas, car il est trop occupé à vivre. Le vieux n’y pense pas, car il veut vivre encore. Le vieillard n’y pense pas, car il a peur de ne plus vivre. Les vivants n’en parlent pas, car ça attire sur eux le mauvais œil.
Depuis quand la mort est-elle devenue le premier tabou de nos sociétés ? Depuis quand la cache-t-on, la maquille-t-on, veut-on l’oublier ? Depuis qu’on meurt tard, silencieusement, médicalement – donc légitimement. Car la mort, chose naturelle, certaine, banale, ordinaire, est devenue un scandale depuis que nous avons percé tous les secrets du corps humain. Depuis que la pharmacopée est devenue chimique, la médecine informatique, la thérapeutique industrie du soin.
La bonne santé n’est plus un bienfait dont on se réjouit, c’est un droit constitutionnel qu’on exige. Chacun attend de l’État qu’il la lui procure et la lui garantisse. La mort n’est plus l’aboutissement normal d’une vie bien remplie, c’est un échec à la fois social, scientifique et politique. On ne doit plus mourir, et si l’on meurt, on demande : « La faute à qui ? Trouvez les coupables, punissez-les ».
Vivre ?
Mieux vaut limiter la vie aux fonctions organiques élémentaires, dans l’isolement, la solitude, l’anesthésie mentale, que de courir le risque de vivre – donc de mourir. Protégés de la mort que nos masques nous masquent, nous serons heureux, forcément, puisqu’encore vivants.
La pandémie nous oblige à poser les questions essentielles, jusque là réservées aux officines philosophiques poussiéreuses : « Qu’est-ce que vivre ? À quoi bon vivre, si c’est en cessant de vivre ? Quelle est l’échelle des valeurs à préserver pour que la vie soit une vie, et non une survie ? »
Ces questions, ce sont des étudiants qui les ont posées récemment, avec clarté et véhémence. C’est normal, une vie s’ouvre devant eux. Que sera-t-elle ? Et si tout est fait pour protéger la survie des vieux, prioritaires quoi qu’il en coûte, quel prix ont-ils aux yeux de leur gouvernement, ces jeunes qu’on vaccine en dernier ?
Les vieux, ça meurt, c’est fait pour ça. Ce n’est ni une honte, ni un scandale, c’est l’aboutissement de la vie. Encore sont-ils heureux, nos vieux que nous aimons, d’avoir connu une vie où l’on acceptait de mourir pour les autres, pour la Patrie, pour des idées. C’était autrefois, en haute montagne, dans les tranchées boueuses, d’une balle dans la nuque. Regrettent-ils d’avoir couru le risque de vivre ? D’avoir parfois bravé la mort ? Demandez-le leur, et vous verrez leurs yeux s’éclairer, leurs regards s’allumer : « Ah non ! Ça au moins, c’était vivre ! Tandis que de moisir en EHPAD… »
Quand tout ça sera fini…
J’entends dire : « Quand la pandémie sera finie, quand on aura vaincu le virus… » Vous voulez cacher la mort sous le tapis ? Faites. Mais n’espérez pas commander aux virus. Ni à celui-là, ni à ceux qui viendront après lui. Car nous avons tout fait pour que les pandémies virales se succèdent, de plus en plus agressives. Depuis 1950, nous consommons des antibiotiques pour un oui ou pour un non, pour un bobo, pour un rhume. À la longue les bactéries ont été contenues, leur action limitée, leurs populations en voie d’extinction. Elles laissent aujourd’hui la place et le champ libre à d’autres ennemis de notre système immunitaire affaibli.
Au même moment nous avons détruit les équilibres naturels de l’eau, de l’air, de la biodiversité animale. Des animaux autrefois sauvages sont contraints de nous côtoyer de plus en plus près, avec leurs réservoirs de virus jusque là endogènes qui se propagent désormais dans les populations humaines comme à Wuhan.
On ne maîtrise pas un virus, pas dans le désastre écologique et sanitaire que nous avons nous-mêmes créé par notre avidité. Il va falloir s’y habituer, le coronavirus est parmi nous et il le restera.
Combien de temps encore devrons-nous cesser de vivre pour ne pas mourir ?
Michel Benoît, 7 février 2021
Vous l’avez compris, ceci est un cri de colère qui n’apporte aucune solution. Mais pour échapper aux solutions qui tuent, il faut le vouloir très fort.