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Quand nos enfants ne sont plus des enfants, peut-on encore leur donner des conseils ?
Quand nos enfants deviennent des adultes, il est difficile de les considérer comme tels et de trouver la position juste face à leurs décisions, qui parfois nous surprennent ou nous inquiètent.
Par Nicole Prieur
• ILLUSTRATION STÉPHANE MANEL POUR LA VIE
Quand nos « chers petits » deviennent adultes, comme il est difficile de les considérer comme tels et de trouver la position juste. Nous nous croyons tellement indispensables. Si en théorie nous sommes d’accord pour respecter leur liberté, acceptons-nous vraiment de ne plus avoir notre mot à dire ? Couper le cordon, oui, mais… il nous faut encore veiller sur eux. Jusqu’à quel âge sommes-nous responsables d’eux ? À partir de quand pouvons-nous les « lâcher » ?
Qu’ils fassent leurs propres armes, nous en sommes fiers. Qu’ils prouvent ce dont ils sont capables, formidable ! Mais qu’ils ne s’éloignent pas trop des projets que nous avions conçus pour eux avec tant d’amour et de pertinence ! Au fond, qui les connaît mieux que nous ? Qui sait ce qui est bon pour eux ? Ils manquent si souvent de discernement !
Pris dans une tempête émotionnelle
S’ils nous présentent un amoureux, une amoureuse si peu apte, à nos yeux perspicaces, à les rendre heureux, s’ils quittent leurs études, ou leur travail, pour lesquels, c’est certain, ils étaient faits, quand ils prennent une orientation sexuelle qui nous surprend, s’ils divorcent alors qu’on ne comprend pas pourquoi, notre premier réflexe, c’est la peur, le désarroi. Nous sommes inquiets pour eux. Que faire ? Que dire ?
Une tempête nous submerge. Nous sommes pris entre le risque de les perdre si nous nous opposons frontalement, et celui de les voir s’engouffrer dans une impasse désastreuse, si nous ne réagissons pas. Mais sommes-nous vraiment aptes à juger ? Avons-nous encore une quelconque autorité ?
Reconnaître son enfant dans sa différence
Pour trouver la bonne distance émotionnelle, il est déjà important de ne pas considérer que leurs choix signent notre échec de parents. « Qu’ai-je raté ? » : la culpabilité ne résout rien. Ensuite, il s’agit de nous décentrer de notre propre vision, voire de nos propres convictions, faire un pas de côté, vers notre fille, notre fils devenus femme, homme. Efforçons-nous de les regarder, non plus à travers nos yeux de parents, mais de les découvrir comme des personnes à part entière, avec leurs ressources propres. Essayons de comprendre leur choix, avant de le juger, le condamner. Quel sens a-t-il pour eux ? Tentons d’en discuter avec eux, en leur demandant non pas de se justifier mais d’expliquer.
En reconnaissant notre enfant dans sa différence, nous l’affirmons dans sa singularité. C’est de cela que les jeunes adultes ont besoin. « Reconnaître autrui, c’est croire en lui », déclarait Levinas. Accepter les « trahisons » de nos enfants s’avère plus facile si nous avons, nous aussi, en son temps, osé mettre en œuvre les déloyautés nécessaires vis-à-vis de notre famille d’origine. Cette attitude, exigeante, certes, permet néanmoins à chacun de grandir et d’entretenir un lien ouvert et respectueux.
Une leçon d’humilité et un gain de liberté
Mais tout de même, lorsque, le plus objectivement possible, leur option les met en danger, nous ne pouvons nous taire. Avec tact, dans une discussion d’adulte à adulte, amicale plutôt que filiale, nous pouvons essayer de leur exprimer nos inquiétudes. Il ne s’agit pas de leur dire qu’ils ont tort, ni de les convaincre de changer, encore moins de leur donner des conseils mais les amener à avoir un autre point de vue, à réfléchir aux conséquences de leur choix. La décision leur appartient. Nous ne pouvons pas les protéger malgré eux.
Ne plus pouvoir faire pour eux ce qu’on pense devoir faire, renoncer à ce que notre expérience personnelle leur serve nous place face à une impuissance douloureuse. Arrive un temps où nous ne sommes plus les parents que nous aimerions être. Cette leçon d’humilité ouvre sur une appréciable liberté.
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N.P.
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