Penser une nouvelle société ?

Olivier Nouailas

Le Covid 19 relancera-t-il la mutation écologique ?

Alors que l’économie mondiale est quasiment à l’arrêt, de nombreuses voix s’élèvent pour remettre en question mondialisation effrénée et modèles à l’ancienne.

«A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! » La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant. » Ce cri du coeur intitulé « Imaginer les gestes barrières contre le retour à la production d’avant-crise », émane du philosophe Bruno Latour, un des meilleurs penseurs de la crise écologique. Car, pour lui, « la crise sanitaire est enchâssée dans ce qui n’est pas une crise ­ toujours passagère ­, mais une mutation écologique durable et irréversible ». Il rappelle les deux principales caractéristiques de la crise climatique à laquelle nous étions confrontés avant le confinement : le CO2 qui réchauffe l’atmosphère mondiale et le « progrès » sans limites qui épuise la planète. Il nous incite à profiter de l’arrêt de l’activité économique pour devenir des « interrupteurs de globalisation ». Et de prendre l’exemple des tulipes produites hors sol sous lumière artificielle en Hollande et expédiées dans le monde entier par avion, un mode de transport dont l’usage immodéré est de plus en plus remis en question. « Est-il bien utile de prolonger cette façon de produire ? »,s’interroge Bruno Latour en nous invitant à faire la liste des activités indispensables et de celles qui ne le sont plus en raison des impératifs écologiques.

On assiste depuis le début du confinement à un véritable bouillonnement d’idées alternatives, toutes opposées au retour du business as usual (« comme si de rien n’était »). Des forces disparates et jadis éparpillées ­ altermondialistes, écologistes, décroissants, « collapsologues », gauche non productiviste, etc. ­ rivalisent d’imagination tant sur la scène mondiale que nationale. Ainsi, une coalition internationale de 300 ONG, fédérées par le mouvement 350.org, estime qu’« une approche véritablement mondiale interconnectée est nécessaire : elle doit investir en premier lieu sur la sécurité et la santé de tous, tout en gardant à l’esprit la nécessité d’une transition vers des modèles économiques sans charbon, ni pétrole, ni gaz ». …

Sur le plan national, après un discours d’Emmanuel Macron à la tonalité très altermondialiste annonçant, le 12 mars, les premières mesures de confinement ­ « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » ­, des syndicats et des mouvements associatifs ont décidé de prendre le Président au pied de la lettre. Ainsi, 18 responsables d’organisations ont signé le 27 mars une lettre ouverte. Dans celle-ci, intitulée « Plus jamais ça, préparons le jour d’après », qui est désormais une pétition, ils demandent que les 750 milliards d’euros débloqués par la Banque centrale européenne soient conditionnés à la reconversion sociale et écologique de l’appareil productif et en appellent à une relocalisation des activités dans l’industrie, dans l’agriculture et les services. Et d’avertir : « Lorsque la fin de la pandémie le permettra, nous nous donnons rendez-vous pour réinvestir les lieux publics et construire notre « jour d’après ». »

Pour Julien Bayou, secrétaire national d’ Europe Écologie-Les Verts (EELV), « le coronavirus démontre de manière paradigmatique l’ampleur des transformations que nous allons devoir engager pour faire face au réchauffement climatique ». Selon lui, il faut à tout prix éviter « une relance à l’ancienne qui accroîtrait encore les émissions de CO2 au détriment du climat, de la justice sociale et de la santé ».

L’ancien ministre Nicolas Hulot de la Transition écologique et solidaire a estimé sur BFM TV que cette crise était « comme un passage de cap pour l’humanité (…), confrontée à sa vulnérabilité et à ses limites ». Si « l’heure est aujourd’hui à l’unité, il va falloir après réfléchir à l’absurdité d’une globalisation effrénée qui a fait de la circulation à flux tendu des biens un dogme. Il faut aller vers une forme de relocalisation qui ne se confond ni avec le protectionnisme ni avec le nationalisme ». Et il tire de la situation actuelle cette interrogation : « Nous avons reçu une forme d’ultimatum de la nature. Saurons-nous l’entendre ? »

À méditer.

Tiré de la revue « La vie », article partiel d’Olivier Nouailas

“La crise du coronavirus donne sens à toutes les revendications des défenseurs du climat en faveur d’un changement du système.” – Pierre Gleizes

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