par Michel Théron
Elle vise chez nous, au-delà de la séparation de l’Église et de l’État, à bien différencier dans chaque individu l’être humain qu’il incarne et dont il faut toujours défendre les droits, et ses diverses pensées, opinions et croyances, dont la puissance publique n’a pas à s’occuper.
On a beaucoup parlé de l’affaire Mila, cette jeune fille récemment injuriée, menacée de mort par égorgement et déscolarisée pour échapper à ces menaces, parce qu’elle s’était insurgée, en critiquant vertement l’islam, contre un harcèlement sexiste et homophobe.
À cette occasion Mme Belloubet, Garde des Sceaux, a déclaré : « L’insulte à la religion est une atteinte à la liberté de conscience ». Il est bien curieux qu’une agrégée de Droit ne distingue pas une religion de ses adeptes. S’il est bien interdit chez nous de s’en prendre aux seconds en particulier, on peut très bien critiquer la première en général. Sinon on instaure un délit d’opinion, on installe une police de la pensée, et on rétablit un délit de blasphème.
Il est bien curieux aussi qu’un croyant puisse s’identifier totalement à sa croyance et à son monde mental au point de vouloir à tout prix les afficher dans le domaine public et éventuellement les imposer aux autres. Car au fond ce à quoi on pense, ce à quoi l’on croit, est aléatoire. Montaigne l’a bien remarqué : « Nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes périgourdins ou allemands. »
On connaît la phrase de Descartes : « Je pense donc je suis ». Peut-être faut-il lui substituer : « Je ne suis pas ce que je pense ». Si j’étais né ailleurs, si j’avais subi d’autres influences, mes pensées, opinions et croyances seraient autres que celles qu’elles sont maintenant, et c’est pourquoi je ne dois pas m’identifier entièrement à elles.
Il est extrêmement dangereux de le faire. Cela engendre psychorigidité et fanatisme. Écoutons encore le sage Montaigne, qui pensait peut-être à l’exécution de Michel Servet, brûlé à Genève avec l’assentiment de Calvin, pour négation du dogme de la Trinité : « C’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire griller un homme tout vif. » Et encore : « Il n’y a que les fols certains et résolus. »
Grâces donc soient rendues à notre laïcité, qui distinguant fort justement l’homme en général de ce que les hommes dans leur diversité croient en particulier, ouvre à une société de tolérance.
Michel Théron