L’Eglise et l’homme

Par Jacques Meurice

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L’Église catholique vit son dernier siècle. Elle fait de plus en plus penser à l’ancienne armée mexicaine. Il y a un empereur à la tête, tout blanc : le pape ; un nombre important et renforcé de généraux, tous habillés de rouge : le sacré collège des cardinaux ; une foule d’officiers et de fonctionnaires de toutes sortes, avec ceintures et boutons de couleur : la curie, les nonces, les monsignori ; et puis, derrière, il n’y a plus que quelques soldats, la plupart âgés, malades, blessés, malheureux : ce sont les prêtres, trop peu nombreux pour assurer la tâche pastorale des paroisses, et les laïcs, tout aussi rares, dans une population dont la pratique religieuse se situe péniblement entre cinq et dix pour cent, parfois moins.

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Ce qui va tuer l’Eglise catholique, ce sont ses divisons internes. Le pouvoir y est disputé avec acharnement entre les intégristes et les charismatiques. C’est entre eux deux que le pape hésite, chancelle, trébuche, sans bien savoir à qui il va se raccrocher.

Peu importe, d’ailleurs, la façon dont l’Église va finir. Ce qu’il ne faut pas faire, c’est jeter le bébé avec l’eau du bain ! (…) Cela veut dire qu’on n’a pas fini de lire les évangiles, seul ou ensemble, de les commenter, de les étudier. Tous les évangiles, même les apocryphes, et les textes de la même époque qui les éclairent. Cela veut dire aussi qu’on n’a pas fini de se battre pour que tous les hommes aient les mêmes droits, pour que la terre soit à tous et nourrisse chacun, pour que l’idée qui mène le monde soit celle de l’amour, que la paix soit sans cesse l’objectif des politiques.

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Comme on est encore loin de tout cela, le message chrétien gardera tout son sens et toute son actualité, sans qu’il faille liturgie, prêtres et sacrements pour l’emballer et le présenter. Ce qu’on abandonnera sera sans aucune mesure avec ce qu’on continuera de rechercher, d’élaborer et mettre en œuvre.

Évidemment, là où nous allons, il n’y aura ni ciel, ni paradis, ni enfer non plus, ni purgatoire. Il n’y aura ni ange, ni démon, ni péché, ni vision béatifique. Il n’y aura pas d’éternité, pas d’immortalité, pas de jugement dernier. Courage ! Il y aura seulement l’homme, avec toute sa richesse et toutes ses pauvretés, l’homme à respecter, l’homme à parfaire, l’homme à aimer. L’homme limité par la condition humaine. L’homme mortel, l’homme spatio-temporal. Mais l’homme entier, autonome, libre, créateur.

On dira peut-être que j’ai voulu faire de l’homme un dieu. C’est ce qu’il faut éviter pourtant, car il ne faut pas fabriquer, cette fois, une religion de l’homme, et recommencer ainsi un cycle du sacré et du transcendant.

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Qu’est-ce que la vérité ? disait Pilate. Répondons-lui aujourd’hui, que la vérité, c’est le monde tel qu’il existe, qui a un urgent besoin d’amour, de justice et de paix. La vérité, c’est que cela suffit amplement à donner un sens à chaque vie d’homme. Ainsi, chacun ne retrouvera-t-il pas, sur son chemin, ce pour quoi Jésus croyait qu’il était né, et ce pourquoi chaque homme est né, lui aussi ?

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Jacques Meurice

in « Adieu l’Eglise » (Chemin d’un prêtre ouvrier, 2004 – Éditions l’Harmattan)

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