Le culte de la Vierge Marie, pourquoi ?

Marie, pendant féminin de Jésus, mère idéale : l’analyse des raisons à l’origine du culte marial.

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Marie est à la fois vierge et mère, ce qui unit, par un paradoxe, deux qualités féminines qui, chacune prise séparément, ont déjà une grande force fantasmatique et qui, alliées tout en étant incompatibles entre elles, suscitent un attrait encore plus fort. L’idée d’une mère restée vierge constitue un fantasme qui remue profondément notre inconscient et notre imagination. Freud insiste sur l’effroi que suscite chez l’enfant l’idée et l’image qu’il est né d’un coït de ses parents. Le fait de pouvoir naître d’une femme restée vierge correspond sans aucun doute à un désir inconscient plus ou moins universel puisqu’il permet de ne pas être infecté par une sorte de souillure originelle.

En contrepoint d’Eve, figure de toutes les femmes séductrices et dévoyées, la figure de Marie, Vierge, Mère et de plus Immaculée, constitue bien une forme d’archétype, pour parler comme Jung, qui répond aux aspirations tant des hommes que des femmes.

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Marie est la mère idéale, la protectrice dans les dangers et les embuscades de la vie. Elle est aussi la mère qui supporte tout et qui accepte tout, même quand elle ne comprend pas. Marie, c’est la Mater Dolorosa, celle qui suit son fils dans son calvaire et recueille son corps crucifié. Elle représente toutes les mères qui ont engendré des fils exaltés, révolutionnaires, égarés, qu’ils soient prodiges ou prodigues, et qui sont souvent conduits à une forme de crucifixion. Elle représente toutes les mères qui pleurent leur fils exécuté.

Il y a en tout homme une forme de nostalgie de la protection maternelle. Et cette nostalgie se dit dans la magnifique prière du Salve Regina : « Nous vous saluons, Reine, Mère de miséricorde, par qui nous vient la vie, la douceur et l’espoir. Enfants d’Eve, chassés du paradis, nous jetons vers vous un cri d’appel ; vers vous nous soupirons, gémissant et pleurant dans cette vie d’épreuves. Ô Vierge, notre protectrice, tournez vers nous vos regards maternels et, après cette vie, au terme du voyage, montrez-nous votre Fils Jésus, vous si bonne, si tendre, si douce Vierge Marie. »

Même si Jésus est le Bon Berger, il reste néanmoins une figure masculine et sévère. L’image de Marie, avec son vaste manteau où l’on pourrait se blottir, est tout autre. C’est celle de la candeur, de la mansuétude silencieuse et généreuse.

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Marie est le pendant féminin de Jésus, et la théologie catholique la plus officielle a toujours cherché à promouvoir ce parallélisme. Donnons-en quelques exemples. Jésus est le Nouvel Adam qui répare la faute d’Adam, Marie est la Nouvelle Eve qui répare la faute d’Eve. Jésus naît de manière virginale, Marie naît de manière immaculée. Jésus souffre jusqu’au calvaire, Marie a « une épée qui lui transperce le cœur » (Lc 2,35). Jésus ressuscite et monte au ciel le jour de l’Ascension, Marie reçoit la gloire de l’Assomption. Jésus est l’image de la Justice et Marie celle de l’Amour. Jésus est le Christ-Roi et Marie est Reine du ciel (la fête de Marie-Reine a été instituée par Pie XII en 1954).

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Il reste à aborder une question plus délicate. Le culte chrétien de Marie s’est-il développé en absorbant le culte des déesses vierges ou mères ? Le culte de la Mère de Dieu a-t-il pu prendre le relais du culte d’Astartée, Reine du Ciel, auquel l’Ancien Testament fait référence, ou de ceux de Cybèle et d’Artémis à Éphèse ? En fait, cela paraît peu probable. Le culte de ces déesses s’était éteint bien avant la naissance du culte de Marie.

Il n’en reste pas moins que Marie a pu être considérée comme le pendant féminin de Dieu le Père (puisque Dieu et Marie engendrent conjointement le Fils). Marie assume, dans le christianisme, le côté maternel, matriciel et miséricordieux du Dieu de l’Ancien Testament (largement attesté par des textes bibliques) et qui apparaît infiniment moins dans le christianisme. De fait, dans le judaïsme, le Dieu d’Israël avait des caractéristiques féminines (il avait des « entrailles »), la Sagesse de Dieu qui conduisait le monde était féminine et l’Esprit (ruah) était du genre féminin. Et, en revanche, les trois personnes de la Trinité du christianisme sont toutes trois masculines. Ainsi le Dieu du christianisme souffre d’un déficit de féminité. Et Marie pallie cette carence.

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Le développement de la théologie mariale

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La théologie mariale n’a pas son fondement dans l’Ecriture sainte. Quel problème cela peut-il poser ? Aucun pour l’Église catholique. En effet, pour elle, la source de la vérité promulguée et révélée ne réside pas seulement dans l’Écriture mais aussi dans la tradition et le magistère. « Il est clair que, selon le très sage dessein de Dieu, la Sainte Tradition, la Sainte Écriture et le Magistère de l’Église sont reliés et associés entre eux de telle sorte que tous ensemble, chacun à leur manière, contribuent efficacement au salut des âmes. » (Vatican II, encyclique Dei Verbum). Ainsi le fait qu’un dogme « révélé » puisse être promulgué à la suite d’un plébiscite (8 millions de signatures ont été recueillies à la fin de 1940 en faveur de la promulgation du dogme de l’assomption) n’a rien d’étonnant.

Selon l’Église catholique, pour qu’une croyance pieuse puisse être définie comme un dogme de l’Église, il faut trois conditions.

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Ce dogme doit avoir une base biblique. Mais celle-ci peut être très fragile et même inconsistante. La vérité du dogme révélé peut très bien, dit-on, être présente « ontologiquement » (sic !) dans l’Ecriture sainte, même si personne ne s’en est aperçu pendant des siècles.

Le dogme doit avoir l’accord de la plus ancienne tradition. Mais là aussi il y a des accommodements. Pour ce qui est de l’Assomption de la Vierge, aucun Père de l’Église n’en fait état avant le Ve siècle.

Enfin, il faut aussi qu’il y ait des arguments théologiques en faveur de ce dogme. Le principe, c’est qu’il faut que Marie puisse bénéficier d’un sort qui « convient » à sa dignité de « Mère de Dieu ». Et c’est ce qui justifie qu’elle doive être indemne du péché originel (c’est le sens du dogme de l’immaculée conception) et qu’elle ne doive pas mourir (c’est le sens de l’assomption).

Selon quelle procédure le catholicisme promulgue-t-il un dogme ? Il commence par affirmer la possibilité, à titre d’hypothèse, du dogme. Puis il énonce sa « convenance » (le fait qu’il « convient » à la dignité de Marie en tant que « Mère de Dieu »).

Et puisque cela était convenable, Dieu, dit-on, a fait qu’il en soit ainsi. C’est le principe du « Potuit, decuit, fecit ». Cela était possible, cela devait se faire, cela se fit.

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A noter :

« Le culte de la Vierge Marie, pourquoi ? »

Avec Elisabeth Claverie (anthropologue au CNRS),

Jean-François Chiron (faculté de théologie catholique de Lyon)

et Jacques Duquesne (écrivain, journaliste).

Mercredi 16 novembre, 20 h

Eglise réformée de l’Etoile,

54, avenue de la Grande-Armée, Paris 17e.

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Pour en savoir plus :

Le culte de la Vierge Marie, pourquoi ? – Reforme

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