L’au-delà

L’AU-DELÀ – Roger Sougnez

« Puisqu’aucun secours ne viendra du Ciel, c’est à nous seuls qu’il incombe d’engager toutes nos énergies pour veiller à notre propre bonheur et contribuer à un monde meilleur. »
Extrait de son livre : De la prêtrise à l’abandon des dogmes 2018 –

Si bien des dogmes sont fort éloignés de nos préoccupations vitales (par exemple : la croyance à la virginité de la Vierge Marie), celui qui traite de l’interrogation: «Tout est­ il définitivement fini à notre mort ou notre existence se prolonge-t-elle d’une certaine façon ?» est évidemment d’une tout autre importance. L’Église y répond par sa doctrine sur les « fins dernières». Elle y déclare que Dieu a créé l’homme non seulement pour cette courte vie terrestre mais pour une vie toute différente : le Ciel, la vie éternelle, un bonheur parfait qui, lui, n’aura pas de fin. J’y ai cru longtemps et j’ai fondé mon ministère sur cette conviction. En avoir la certitude modifie complètement la valeur et le sens de ce passage terrestre et, en conséquence, le comportement. La mort, pour le croyant, n’est pas du tout la terrible catastrophe.
Voici quelques personnes qui ont eu cette conviction :
– Sainte Thérèse de !’Enfant Jésus sur son lit de mort : « Je ne meurs pas, j’entre dans ta vie »« Je passerai mon ciel à faire du bien sur la Terre »
– Saint Paul: « Mourir m’est un gain : j’ai un ardent désir de mourir pour être avec le Christ » (Phil 1.21, 23) « Nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui L’aiment » (1 Cor 2,9).
– A propos de Jacques Chevalier : « Il ne nous a pas été donné d’assister à la mort d’un juste, ce n’est pas une mort, mais une naissance et il a passé dans un sourire ».
– Dans le symbole des apôtres: « Je crois [ ..] à la résurrection de la chair et à la vie éternelle » et dans le Credo de la messe : « j’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir »
Pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur; la vie n’est pas détruite, elle est déjà transformée; et lorsque prend fin leur séjour sur la terre, ils ont déjà une demeure éternelle dans les cieux. (C.1012 ref. Catéchisme)  

On comprend que cette croyance en la vie éternelle est un élément essentiel de la foi chrétienne.
« Croire en la résurrection des morts a été dès ses débuts un élément essentiel de la foi chrétienne. « Une conviction des chrétiens: la résurrection des morts; cette croyance nous fait vivre». (C991) »
Voici comment l’Église nous décrit notre résurrection :
« Qu’est-ce que «ressusciter»? Dans la mort, séparation de l’âme et du corps, le corps de l’homme tombe dans la corruption, alors que son âme va à la rencontre de Dieu, tout en demeurant en attente d’être réunie dans son corps glorifié. Dieu dans sa toute Puissance rendra définitivement la vie incorruptible à nos corps en les unissant à nos âmes, par la vertu de la Résurrection de Jésus. (C.997) »
« Tous ressusciteront avec leur propre corps qu’ils ont maintenant, mais ce corps sera «transfiguré en corps de gloire» (Ph 3,21), en «corps spirituel» (1 Co 15,44). (C.999) »
Elle nous parle de la fin du monde :
« A la fin des temps, le Royaume de Dieu arrivera à sa plénitude. Alors les justes régneront avec le Christ pour toujours, glorifiés en corps et en âme, et l’univers matériel lui-même sera transformé. Dieu sera alors « tout en tous » (1 Co 15,28), dans la vie éternelle. (C.1060) »
Le Catéchisme reprend l’extraordinaire vision de la fin des temps donnée par le Concile « Nous ignorons le temps de l’achèvement de la terre et de l’humanité, nous ne connaissons pas le mode de transformation du cosmos. Elle passe, certes, la figure de ce monde, déformée par le péché; mais nous l’avons appris, Dieu nous prépare une nouvelle demeure et une nouvelle terre où régnera la justice et dont la béatitude comblera et dépassera tous les désirs de paix qui montent au cœur de l’homme (C.1048) ».
Les premiers chrétiens ont cru que la parousie (Mt 24.29- 31), c’est-à-dire le retour glorieux du Christ était proche. Aujourd’hui encore, à la messe, après la consécration, se situe cette acclamation de l’assemblée : « Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ».
En Mathieu 25.31-46, nous trouvons le célèbre passage du jugement dernier où le Christ séparera les justes des méchants sur le seul critère de l’amour du prochain.
L’Église nous précise ce qui nous attend après notre mort : le ciel, l’enfer ou le purgatoire.
« Chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification, soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du ciel, soit pour se damner immédiatement pour toujours (C.1022). »

LE CIEL
Nous abordons ici un thème capital. Le Ciel, le Paradis, dans toutes les religions, représente le désir suprême des hommes. C’est enfin le bonheur parfait, merveilleux aboutissement d’une vie parfois bien laborieuse. Cependant, il n’y a pas d’unicité de la conception du Ciel. Pour les Vikings, il était le champ de bataille où les valeureux guerriers, morts l’arme à la main, pouvaient revivre leurs faits héroïques. Pour les Égyptiens, il était une sorte de calque de leur quotidien sans les disettes et sans les maladies. Chez les Sioux, le guerrier pouvait chasser éternellement le bison dans les plaines célestes du Grand Manitou… Le Ciel correspond aux aspirations d’un peuple à une époque et dans une région données. Toutes les souffrances endurées pendant le court laps de temps de vie terrestre, se voient compensées par un bonheur sans ombre. On peut comprendre alors tous ces gens qui supportent une vie misérable parce qu’ils sont persuadés que, dans peu de temps, ils trouveront le bonheur qu’ils n’avaient pu avoir sur Terre. Ce qui, actuellement, nous paraît illusoire pouvait avoir tout son sens pour celui qui baignait dans la culture de son temps.
Pour le chrétien, le Ciel c’est vivre un bonheur parfait qui dépasse tout ce qu’on pourrait imaginer et qui ne finira jamais auprès de Dieu, de la famille et des êtres chers retrouvés ; règne de paix et d’amour, plus de mal ni de souffrances.
« Ceux qui meurent dans la grâce et l’amitié de Dieu et qui sont parfaitement purifiés, vivent toujours avec le Christ. (C.1023) »
« Cette vie parfaite avec la Très Sainte Trinité, cette communion de vie et d’amour avec Elle, avec la Vierge Marie, les anges et tous les bienheureux est appelée « le ciel». Le ciel est la fin ultime et la réalisation des aspirations les plus profondes de l’homme, l’état de bonheur suprême et définitif. (C.1024) »
« Ce mystère de communion bienheureuse avec Dieu et avec tous ceux qui sont dans le Christ dépasse toute compréhension et toute représentation. L’Écriture nous en parle en images: vie, lumière, paix, festin de noces, vin du royaume, maison du père, Jérusalem céleste, paradis… (C.1021) »

L’ENFER
L’enfer est le châtiment éternel qui s’abat, après la mort, sur celui qui décède en état de péché grave (mortel), sans s’être confessé ou s’être repenti avec une contrition parfaite. Il comporte ce que les théologiens appellent la peine du dam : être séparé de Dieu et la peine des sens : les nombreux tourments effroyables qui n’ont pas de fin, souvent évoqués jadis dans la littérature pieuse. Spirituels et corporels, ces tourments sont désignés par le terme général : le feu éternel.
« Jésus parle souvent de la « géhenne » du «feu qui ne s’éteint pas», réservée à ceux qui refusent jusqu’à la fin de leur vie de croire et de se convertir, et où peuvent être perdus à la fois l’âme et le corps. Jésus annonce en termes graves qu’il « enverra ses anges, qui ramasseront tous les fauteurs d’iniquité[…], et les jetteront dans la fournaise ardente» (Mt 13. 41-42), et qu’il prononcera la condamnation: « Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel» (Mt 25. 41). ( C.1034) »
« L’enseignement de l’Église affirme l’existence de l’enfer et son éternité. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement après la mort dans les enfers, où elles souffrent les peines de l’enfer, «le feu éternel» ».
« La peine principale de l’enfer consiste en la séparation d’avec Dieu en qui seul l’homme peut avoir la vie et le bonheur pour lesquels il a été créé et auxquels il aspire. (C. 1035) »
« Dieu ne prédestine personne à aller en enfer; il faut pour cela une aversion volontaire de Dieu (un péché mortel) et y persister jusqu’à la fin. (C.1037) »

L’Église a énormément utilisé la peur de l’enfer pour assurer son pouvoir, maintenir les fidèles dans son giron et les dissuader de se laisser aller au péché. Il est indubitable que cette peur comme, d’autre part, l’espérance de la béatitude éternelle récompensant les bons fidèles a grandement contribué à assurer une conduite vertueuse, parfois même héroïque. Si l’intéressé allait jusqu’à penser que l’intensité du bonheur promis serait proportionnée au degré d’excellence de sa vie il était d’autant plus porté à mener une vie vertueuse (dans la même ligne que les croyants en la réincarnation). Cela se constate facilement dans l’enseignement, la littérature de l’époque, les prédications, retraites et sermons que j’ai encore connus.
Dans l’ouvrage monumental de Jean Delumeau « Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident du XIIIe au XVIIIe siècle » (Fayard, 1983, 740 p.), on découvre un univers qu’on ne pouvait imaginer.
Le croyant est persuadé que Dieu, omniscient, bon mais aussi juge rigoureux qui doit châtier le coupable, connaît tous ses actes les plus cachés, même ses pensées les plus secrètes ; pas de place pour le « pas vu, pas pris ». Existe-t-il une meilleure garde que celle-là ? On pourrait parler d’une prison dont les gardiens sont les prisonniers eux-mêmes. En effet, cette formidable autocensure porte l’individu à renoncer à l’action interdite qu’il projette ou à se reconnaître coupable s’il la commettait.
Aujourd’hui, on n’entend plus les prêtres nous parler de l’enfer et les gens ne s’en préoccupent guère. Il suffit de réfléchir sérieusement à ce qu’on entend généralement par enfer : des souffrances atroces, sans le moindre répit, qui n’auront jamais de fin, pour se rendre compte qu’un Dieu amour, qui a créé les hommes pour leur donner le bonheur éternel ne pourrait condamner ses créatures à de tels supplices.
C’est impensable. Il n’y a pas d’enfer !

LE PURGATOIRE
Après la mort, le juste, qui n’est pas exempt de péché, passe au purgatoire pour être purifié afin qu’il puisse entrer au Ciel.
« Ceux qui meurent dans la grâce et l’amitié de Dieu, mais imparfaitement purifiés, bien qu’assurés de leur salut éternel, souffrent après leur mort une purification, afin d’obtenir la sainteté nécessaire pour entrer dans la joie de Dieu. (CJ054) »
« L’Eglise appelle purgatoire cette purification finale des élus qui est tout à fait distincte du châtiment des damnés. (Cl031) »
Cette doctrine du purgatoire, qui a été ratifiée par les conciles œcuméniques, trouve aussi son fondement dans la pratique des chrétiens de prier, gagner des indulgences, faire dire des messes pour abréger la purification de leurs défunts.
« Dès les premiers temps, l’Eglise a honoré la mémoire des défunts et offert des suffrages en leur faveur, en particulier le sacrifice eucharistique, afin que, purifiés, ils puissent parvenir à la vision béatifique de Dieu. L’Eglise recommande aussi les aumônes, les indulgences et les œuvres de pénitence en faveur des défunts. (C1032) »

LES LIMBES
[…] C’est là qu’entraient les enfants morts sans baptême : pas de souffrance comme en enfer ou au purgatoire mais pas de ciel avec Dieu, au grand désespoir de leurs parents qui restaient éternellement séparés d’eux.
Il y a lieu de relever ici un fait très rare : en 1985, le cardinal Ratzinger, alors préfet de la congrégation de la doctrine de la Foi, reconnaissait que les limbes n’étaient qu’une simple hypothèse qu’il faudrait abandonner. Et en 2007, la commission théologique internationale romaine est arrivée à la conclusion, approuvée par le même Ratzinger devenu le pape Benoît XVI, que les limbes n’existaient pas.

CONCLUSION
Dans l’Ancien Testament, l’idée d’une vie dans l’au-delà n’apparaît que très tardivement. Du temps de Jésus, les avis étaient partagés (Mt. 22, 23).
Nous venons de survoler la doctrine de l’Église, mais qu’en est-il en réalité ? Comme je l’ai indiqué dans mon parcours, une foi ferme en la vie éternelle, plus importante que l’existence terrestre, illuminait ma vie et m’a décidé à devenir prêtre. Elle se fondait sur les affirmations de l’Église que je prenais comme paroles de Dieu et sur les promesses de Jésus de Nazareth qui, pour moi, était vraiment Dieu venu sur Terre. A partir du moment où mes réflexions et recherches exigeantes ont fini par établir que la Bible et la doctrine catholique comportaient énormément d’erreurs et d’aberrations et ne venaient pas de Dieu, tout a basculé. J’en suis arrivé à la conviction qu’évidemment, je ne ressusciterai pas, qu’il n’y rien après la mort, comme pour les plantes et les animaux. Je me suis rendu compte que cette croyance en l’immortalité, si répandue, provenait fondamentalement de notre désir profond que tout ne soit pas fini à notre mort, qu’il existe un monde meilleur où nos aspirations au bonheur seraient comblées et que la justice serait enfin rétablie : les « justes » récompensés, les « méchants » punis. Ces espérances, confortées par les paroles de Jésus qui s’exprimait simplement selon la mentalité de l’époque, ont été mises en système précis et apparemment cohérent par l’Église qui a développé les représentations du ciel, de l’enfer et du purgatoire. Cette croyance donne erronément une importance exceptionnelle et un sort particulier à l’être humain, comme s’il pouvait échapper à la loi commune, alors qu’il n’est qu’un simple maillon dans la chaîne de l’évolution. Ainsi que tous les organismes vivants, nous sommes soumis à la décomposition finale totale : une fois morts, tout est fini pour nous.
Je dois relever un fait aux conséquences très graves dont on ne prend pas suffisamment conscience. Les croyants vraiment convaincus que, loin de voir tout se terminer à leur mort, leur vie continue au Ciel avec un Dieu qui les comble d’un bonheur parfait sans fin, risquent fort bien de ne pas attribuer à la vie terrestre l’importance totale qu’elle mérite.

Je peux apporter ici mon témoignage. J’ai personnellement vécu cette énorme différence de perception et de comportement selon que l’on croie ou non à la vie éternelle.
Consacrant ma vie au bonheur de mes frères humains, je faisais ce que je pouvais pour qu’ils soient heureux, ici, sur Terre, mais surtout je consacrais toutes mes énergies pour qu’ils arrivent au Bonheur éternel. Pour cela, je m’efforçais de les conduire dans les chemins du catholicisme avec toute sa structure, ses sacrements qui concouraient à ce but ultime, puisque j’étais persuadé que c’était la voie voulue par Dieu et la meilleure pour eux. Lorsque quelqu’un mourait, j’étais fortement touché, bien sûr ; c’était dramatique surtout pour ses proches, mais au fond, à mes yeux, plus ou moins inconsciemment, ce n’était pas si grave puisque sa vie n’était pas du tout terminée. Au contraire, elle entrait dans sa phase définitive du Ciel. On constate cette conviction chez des catholiques, intensément peinés de la perte d’un être cher, mais cependant rassurés, car ils pensent que tout n’est pas fini pour lui puisqu’il accède maintenant à la vie du bonheur éternel à laquelle il était destiné. Mais lorsque j’ai réalisé que cette croyance en une vie éternelle était non fondée, une illusion, j’ai compris que cette vie terrestre était la seule réelle, qu’il n’y en avait aucune autre ; elle était le bien le plus précieux, incommensurable. Je le ressentais vraiment au plus profond de moi. Aussi, maintenant, lorsque quelqu’un décède, je réalise que pour lui tout est irrémédiablement fini ; il n’y a plus rien.
Face aux catastrophes, souffrances, malheurs, injustices, il n’est donc plus question de relativiser comme je le faisais, de se consoler en pensant que c’est passager et que dans l’autre vie on trouvera la compensation pour tant de souffrances : le vrai bonheur du Ciel. Non, tout se joue dans cette vie terrestre, il n’y en a pas d’autre. C’est très dur à accepter, mais c’est la réalité. Puisqu’aucun secours ne viendra du Ciel, c’est à nous seuls qu’il incombe d’engager toutes nos énergies pour veiller à notre propre bonheur et contribuer à un monde meilleur.
Le témoignage de Christian de Duve est intéressant. A partir de ses derniers livres (notamment «A l’écoute du vivant »), on s’aperçoit qu’il est passé d’une enfance catholique à l’incroyance. Toujours lucide, il est décédé sereinement le 4 mai 2013 par euthanasie.
De même, la forte déclaration de Bertrand Russell mérite d’être citée:
« Je crois que quand je mourrai je pourrirai, et rien de mon ego ne survivra. Je ne suis pas jeune et j’aime la vie, mais je dois mépriser les tremblements d’effroi à l’idée d’être annihilé. Le bonheur est néanmoins un vrai bonheur car il doit finir; et ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas éternels que la pensée et l’amour perdent leur valeur. »
Dire, comme certains, qu’on peut parler d’immortalité, que tout n’est pas fini de ma personne, dans le sens que demeurent le bien que j’ai fait et le souvenir que les gens peuvent garder de moi, c’est jouer sur les mots, du pur concordisme ; ce n’est nullement la continuation de vie à laquelle pouvaient s’attendre les croyants.
Le ciel, l’enfer, le purgatoire et les limbes sont une construction des théologiens.
Roger Sougnez

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