Guerres et torture

Par Jean-Etienne de Linarès

Faire la guerre a toujours signifié tuer des hommes et faire pleurer des mères. Rien de nouveau depuis l’invention de la massue. Mais aujourd’hui, près de 90% des victimes d’un conflit sont des civils et les crimes de guerre – nettoyages ethniques, génocides, disparitions forcées, viols systématiques…- sont devenus le lot de tous les conflits. Et parmi eux, l’usage massif de la torture.

Si la torture se pratique en dehors des conflits armés, la guerre lui offre un champ particulièrement favorable pour se développer parce qu’alors elle devient légitime dans l’esprit des protagonistes et parce que les bourreaux savent qu’ils ne risquent pas grand-chose (part tomber dans les mains de l’ennemi).

La Gestapo, les paras en Algérie ou les Britanniques en Irlande du Nord ont d’abord torturé pour obtenir des renseignements (prétendaient-ils) ; les Russes en Tchétchénie, les services secrets israéliens ou les Américains à Abou Ghraïb ou Guantanamo ont repris le flambeau. Le prétexte est toujours le même : sauver des vies. Ben voyons, comme si la vie était un épisode de 24 heures.

On torture ensuite par vengeance. Vos copains se sont fait tuer. Vous avez retrouvé leurs cadavres émasculés. Vos familles ont été massacrées. Alors tout devient permis. Même si vous avez commencé la guerre sans être trop hostile à ceux de l’autre camp, vous en venez à penser qu’ils n’ont plus rien d’humain. Alors pourquoi se gêner ? Ils sont communistes, chrétiens, noirs, tutsis, laquais de l’impérialisme, juifs, bosniaques… la liste est longue. C’est des qualificatifs qui exacerbent l’ardeur guerrière et vous autorisent à commettre les pires crimes contre ces sous-hommes. Et puis il faut bien que les copains ne soient pas morts pour rien.

On torture enfin, surtout, pour terroriser. Pour interdire toute velléité de révolte. On ne torture pas pour faire parler, on torture pour faire taire. Pour humilier, pour écraser. Si le torturé est nu, violé, si ses organes génitaux sont frappés, ce n’est pas seulement pour la douleur physique occasionnée, c’est pour détruire l’autre bien plus que dans sa chair : dans son âme. Lui et tous ceux que l’on prétend asservir.

La torture est-elle le pire des crimes de guerre ? Peu importe. Retenons seulement qu’il n’existe pas de guerre sans torture et que les destructions qu’elle engendre sont plus profondes encore que celles causées par les bombes.

Jean-Etienne de Linarès, l’ACAT-France

PS Cet ancien article, extrait de la revue « Parvis » n°38, est bien antérieur à la guerre d’Ukraine et c’est pourquoi elle n’est pas relevée ! Mais le drame de la guerre reste toujours aussi vif … et -hélas- actuel !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *