En mémoire de Guillemette

Méditation

Un ami d’E&P nous transmet « ce modeste adieu » :

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Le 10 avril2020, à l’aube, Guillemette nous a quittés,

« Mais elle était du monde où les plus belles choses
Ont le pire destin
 ».
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.
 » (Consolation de F. de Malherbe à M. Du Périer )

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Ce fut au terme d’une longue nuit succédant à son retour heureux, en son appartement, entourée par Florence et Sonia, nous sa famille, ses amis étions loin, consignés en nos domiciles, veufs et impuissants.

Ce départ, nous avions cru l’éviter, ne voulant pas l’accepter.

Dernier souffle, reflet apaisé du souffle initial de toutes vies, origine de notre autonomie, élan vital de notre humanité, violence de la vie. Ce cri, Guillemette le pratiquera toute sa vie, sauvage, fort, inattendu, mais vrai ; il a marqué les relations de Guillemette au monde.

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Guillemette aimait la vie. Elle aimait les rencontres, les relations humaines, l’amitié fidèle qui la liait à beaucoup d’entre nous. Elle aimait à sa façon, aimable, conviviale, variant entre un conformisme de bienséance et les cris de sa nature profonde : ils nous interrogeaient en nous interpelant. Guillemette aimait Jean-Jacques, à sa façon. L’amour est violent, le chemin entre le moi et le nous est long, Elle a été sa gardienne prévenante, toujours présente lors de sa maladie. Jean-Jacques en un dernier au-revoir avait dit : « Je t’aime Guillemette » et elle, en écho, « il était si gentil ». Elle repose maintenant à ses côtés.

Guillemette aimait ses proches, ses filleuls et ses amies de si longues dates, Guillemette aimait aussi les petites choses de la vie, la gourmandise dont elle faisait profiter son entourage comme lors de son départ de la Pitié pour Fontevraud : « gâteries » pour le personnel médical, chocolats, champagne, la fête. Que de souvenirs échangés sur les langoustines, les fruits de mer à acheter à une adresse précise avec un soin précautionneux.

Guillemette aimait les voyages, bien sûr l’Iran avec nous, et surtout ces derniers temps, Florence, ses palais, ses églises, son pont. Dans nos conversations téléphoniques, nous étions ensemble à Istanbul, sur le pont admirant le Bosphore, la mosquée bleue, Sainte-Sophie et tant de beautés.

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Guillemette n’était pas ritualiste mais elle aimait les rites, Elle n’était pas bigote, mais elle aimait les cérémonies.

Guillemette était imprévisible, nous le savions et cela ne nous désorientait pas. Nous étions sensibles aux sautes d’humeur, au goût de la contradiction et en même temps à la rectitude de ses volontés. Elle s’est montrée fidèle aux promesses échangées avec Jean-Jacques.

Guillemette était libre au-delà des « convenances » habituelles ; Guillemette s’interrogeait sur sa destinée : « Qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous » pour rappeler Gauguin, Courbet, ou encore Apollinaire. Elle osait dans un monde oublieux de son humaine destinée. Le temps de l’être …

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Notre vie, notre destin s’inscrit entre deux souffles, celui premier de l’autonomie, de la liberté, et celui du retour vers l’inconnu d’une égale violence.

Bravant les lieux communs et les convenances elle avait interrogé notre mère : « Comment ai-je été conçue, ? Ai-je été conçue dans la joie ? »

Troisième d’une famille de quatre, elle posait cette Interrogation existentielle, légitime sur notre origine. Ces dernières années, elle s’interrogeait : Où est Maman ? qui nous avait quitté en 2005 et avait tant marqué sa vie.

Guillemette avait hérité de son amour de la poésie, d’une fantaisie et d’une appétence à la transgression.  Ce poème d’Apollinaire nous interroge :

Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses

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Guillemette, tu connais maintenant la réponse à ta question !

Tu as cherché à croire ; croire est l’expression de notre liberté, elle nous confronte en permanence au doute. Ce n’est pas la facilité du pari Pascalien prônant le moindre risque. Croire n’est pas un confort, pas non plus l’obéissance aveugle à un catéchisme, à un moralisme, à un piétisme ou encore au dolorisme peccamineux. C’est s’en remettre à sa libre responsabilité au risque de se perdre. Croire n’est pas un long fleuve tranquille et rassurant, c’est le choix essentiel au-delà du rationnel. C’est le sens profond de ton interrogation, celle qui nous porte vers l’ascèse de la pensée, la remise en question de notre être.

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Ainsi les amies de Jésus arrivant au tombeau vide se sont-elles interrogées : Où est Jésus ?  Assis dans la tombe vide l’homme en blanc, le messager de Dieu dans la tragédie grecque, dit aux femmes : « Pourquoi le cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ?» Ultime question, ultime appel à croire, ultime doute !

Jésus s’est confronté au doute : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » puis dans son dernier souffle, le cri ultime : « Tout est consommé, je remets mon âme, mon souffle à mon père ».

« Le souffle de Dieu planait à la surface des eaux, et Dieu dit « Que la lumière soit ! Et la lumière fut » » (Gn,1,2). Comme Jésus retrouver le souffle de Dieu c’est adhérer à sa création jamais terminée, c’est rechercher la Vérité ultime, que tu as tant interrogée …

Alors, au terme de cette liberté : Guillemette où es-tu ?   Tu nous manques …

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Le 17 octobre 2020

Michel Pecha-Soulez ma.pechasoulez@orange.fr

Un commentaire

  1. J’ai perdu ma sœur en avril 2020, en plein confinement. Décédée à Paris et inhumée selon sa volonté à Fontevraud, nous n’avons pu assister a l’enterrement. C’est dire de la terrifiante solitude des uns et des autres. Nous avons attendu six mois pour faire une cérémonie avec famille et amis. Vous trouverez ci-dessus mon texte qui m’a beaucoup interrogé durant des mois
    Michel PECHA-SOULEZ

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