Cultiver notre reconnaissance

Cultiver et exprimer notre reconnaissance, par J. Musset. En cueillant les prunes de mon vieux prunier il y a une trentaine d’années, j’ai éprouvé pour la première fois l’envie de remercier l’arbre qui donnait de si bons fruits. Étonnant, n’est-ce pas ? En quoi mes remerciements auraient-ils une influence sur sa santé et seraient-ils capables de lui donner davantage de vigueur ? ...

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En cueillant les prunes de mon vieux prunier il y a une trentaine d’années, j’ai éprouvé pour la première fois l’envie de remercier l’arbre qui donnait de si bons fruits. Étonnant, n’est-ce pas ? En quoi mes remerciements auraient-ils une influence sur sa santé et seraient-ils capables de lui donner davantage de vigueur ? Fétichisme enfantin, penseront certains ! Ceux qui raisonneraient ainsi se méprendraient profondément sur le sens profond de ma démarche. En réalité, les marques de respect adressées à l’arbre opèrent en moi un changement de regard sur lui. En effet, on peut récolter en prédateur. La nature pour soi n’a alors de raison d’être que pour être exploitée au maximum. Elle est une proie. Cet esprit de prédation est dommageable ; poussé à bout, il a donné naissance au productivisme, manière de produire sans égard à ce que l’on cultive, ce qui provoque pollution de l’environnement et qualité douteuse des récoltes. Aujourd’hui, on revient à plus de raison. Des maraîchers et des agriculteurs (pas tous, loin s’en faut) ont conscience qu’ils ne sont que les gérants de la nature. Ils se sentent appelés à la respecter, la sauvegarder, l’entretenir avec discernement et avec intelligence.

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C’est dans cette perspective et selon cette pratique que moi, petit jardinier, j’essaie de cultiver mon potager et de me comporter avec mes pruniers. Ces arbres ne sont pas de simples réservoirs à fruits. Ce sont des êtres qui ont une vie propre et qui, sans mon concours, effectuent un travail de longue haleine au cours des saisons. Ils affrontent les risques du froid et des gelées, le danger des tempêtes et des maladies. J’ai souvent admiré le courage stoïque avec lequel ils font face à tous les aléas possibles. Plantés là où la nature les a mis, ils y demeurent patients et habités par une volonté irrépressible de vivre. Je ne peux donc les considérer que comme des partenaires. C’est pour cette raison, que perché sur mon échelle, au temps de la récolte, je murmure à mes pruniers des sentiments de gratitude. Ces paroles intimes que personne n’entend me rappellent que je suis leur débiteur. Ils m’offrent gratuitement et généreusement leurs fruits dont les confitures portent à mon initiative le label : De nos pruniers / silencieusement généreux. Façon de leur rendre un solennel hommage.

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Quoi que je recueille dans mon potager, fruits ou légumes, je m’efforce d’avoir la même attitude. C’est encore plus essentiel dans ma façon de vivre mon existence quotidienne. Là aussi, je suis chaque jour le bénéficiaire de ce que m’apportent les autres humains : le boulanger, le charcutier, le boucher, le maraîcher (biologique), l’agriculteur, l’ouvrier qui goudronne la route, le facteur, l’éboueur, la maire de ma commune, le médecin, l’acupuncteur, le maçon, le moine, l’infirmière, le journaliste, l’auteur du livre qui me passionne, bref, la foule de mes bienfaiteurs est innombrable. J’aime souvent penser à l’interdépendance des humains qui, par leur apport spécifique, permettent une vie sociale convenable où chacun trouve satisfaction. Je m’émerveille devant tant de talents mis au service de la communauté humaine.

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Dans ma vie personnelle, combien je suis redevable à une multitude de personnes depuis que je suis né ! Non seulement mes parents qui m’ont transmis la vie – quel cadeau inestimable ! – des proches et certains de mes maîtres et éducateurs, mais beaucoup d’autres humains qui m’ont un jour ou l’autre éveillé, écouté, encouragé, aidé à franchir un cap, donné le coup de pouce nécessaire pour avancer, fait découvrir des horizons inconnus. Certaines de ces personnes ont vécu il y a quatre, dix, vingt, vingt-cinq siècles. Leurs écrits et leurs témoignages m’ont marqué d’une manière décisive. La fécondité d’une vie ne s’arrête pas avec la mort. Ainsi, je conserve en moi une longue litanie de noms qui m’évoquent ces devanciers auxquels je dois tant. Chacun est ainsi redevable à des multitudes d’autres humains, contemporains ou non, dont la vie ou l’œuvre l’ont marqué de manière décisive. Et pourtant, il est peu fréquent que l’on exprime ouvertement des sentiments de reconnaissance, c’est regrettable ; nous sommes interdépendants et il est essentiel de le reconnaître, ce n’est que justice.     

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Jacques Musset    2024 07

Extrait du livre « A la recherche du trésor caché« 

Un commentaire

  1. Je viens de lire « Cultiver et exprimer notre reconnaissance ». Et je suis particulièrement touché, admiratif, reconnaissant …
    Touché par la simplicité et la profondeur de ton témoignage ; admiratif par ta franchise et ta transparence ; reconnaissant que tu aies écrit ce que je partage totalement …
    Comment en effet te remercier de confier ce qui te semble essentiel à travers le commun quotidien -ce que je crois primordial-, « Partenaires, gratitude, communauté humaine et fécondité d’une vie » … MERCI.

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