Les combats actuels en Ukraine rappellent des souvenirs sanglants qui ont eu lieu … en France et restent toujours douloureux !…
Il y a un siècle ! Dans le secteur de Reillon, à 20 km de Lunéville (54) …
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Commémoration du Combat des « Bras de Chemises »
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Extrait d’un article de l’Est Républicain (il y a un siècle exactement !)
A Reillon le mardi 17 juillet 1923 ;
Pour commémorer le souvenir des sanglants combats de Reillon les 19 et 20 juin 1915, les anciens combattants assistent à l’inauguration du monument élevé dans ce secteur à la gloire de ses morts. Les pertes éprouvées, lors de ces combats, par le 217ème R.I. furent sévères : 165 tués, 400 blessés.
Le petit village de Reillon complètement détruit pendant la guerre se relève de ses ruines. Ses maisons, toutes neuves et accueillantes, sont pavoisées aux couleurs nationales.
A côté de la chapelle provisoire, construite en bois, s’élève la stèle en granit des Vosges, élevée à la mémoire des braves du 217ème régiment d’infanterie.
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Le curé de Reillon ayant béni, suivant le rite habituel, le monument, M. Clayette, président de la Société des anciens combattants, prend la parole et évoque, dans un langage émouvant et coloré, les tragiques journées où les braves soldats du régiment arrosèrent de leur sang la terre lorraine bouleversée. Il conclut en ces termes :
« Quand vous apercevrez cette pyramide projetant son humble silhouette dans le bleu de votre ciel, vous songerez à tous ceux qui, sous le même ciel un jour de l’été 1915, ont été couchés glorieusement par un impitoyable trépas. Vous vous rappellerez qu’ils sont tombés pour que vous puissiez respirer librement en vos foyers reconstruits.
Rappelez-vous que ceux qui ont vécu la grande et terrible épopée, ont généreusement accepté tous les sacrifices en rêvant que leurs enfants ignoreraient les horreurs d’une nouvelle guerre. Puisse ce rêve être réalisé pour vous et par vous !
Quand, à votre tour, vous serez devenus vieux, très vieux, dites à vos petits-enfants que la pyramide de Reillon a poussé sur le champ du sacrifice et de l’honneur et qu’elle représente un passé de douloureuse abnégation, de foi patriotique et de généreux enthousiasme.
Au granit du monument, nous accrochons, avant de partir, quelque chose de votre cœur … »
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Dans une belle envolée, le colonel Villemin, ancien commandant du 217ème R.I. s’écrie :
« Habitants de Reillon, de Blémerey, de Vého, de Leintrey, de St Martin, de Chazelles et de Gondrexon.
Un pacte de solidarité morale vous relie car les noms de vos cités meurtries sont des noms de victoire qui brillent du plus pur éclat au livre d’or de notre fier régiment.
Car les sèves frémissantes de vos sillons sont teintées du sang fécond de nos héros !
Car les croix penchées de vos clochers croulants se sont inclinées, comme la croix de Jeanne d’Arc à Rouen, devant le généreux holocauste de nos martyrs, ont illuminé leur sacrifice d’un rayon d’espérance et d’immortalité !
Car, enfin, les yeux fixés sur ces croix qui montent vers les cieux, et qui protègent vos foyers et vos tombes ancestrales, ces chers petits, avant de rendre leur belle âme à Dieu, ont eu la suprême vision de leur village lointain, de l’humble maison grise qui abrita leur enfance heureuse !
En murmurant le nom vénéré du berceau, le doux nom de « maman » qui est aussi , au seuil du trépas, l’adieu à la vie, ils ont tendrement souri à ceux qu’ils avaient tant aimés … »
Monsieur Georges Mazerand, député de Meurthe et Moselle, lui succède. Il rappelle les hauts faits du 217ème , abordant l’ennemi à l’arme blanche et s’emparant, de haute et magnifique lutte, de la côte 303 :
« Non, s’écrie-t-il, ce n’est pas là un épisode infime de la grande guerre. Ce monument que l’on qualifiait tout à l’heure de modeste, est l’égal des plus beaux. Il consacre les épisodes d’un éclatant héroïsme. …»
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Monsieur le sous-préfet de Lunéville monte sur l’estrade :
« Monument aux morts, certes, que ce granit qui symbolise l’héroïsme des soldats ; mais aussi monuments aux vivants, car il faut que ces trop nombreux mausolées qui se dressent sur les champs de bataille de la grande guerre soient pour tous ceux qui les verront à travers les générations une impérissable leçon de choses.
Rappelez-vous l’état de désolation dans lequel vous avez laissé le pays et voyez maintenant, contemplez tous ces villages ressuscités et l’espérance de toutes ces moissons, et dites aux populations de Lorraine qu’elles ont bien mérité du sacrifice que vous leur avez fait. C’est que, voyez-vous, les Lorrains, depuis des siècles, connaissent ce pénible labeur qui consiste, périodiquement, à redresser leurs maisons. Cette fois encore, ils n’ont pas failli à leur tâche.
Souhaitons, si nous ne pouvons pas affirmer que cette guerre sera la dernière, que les inévitables catastrophes qui heurtent les peuples soient pour nous reculées dans la nuit des temps.»
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C’est au tour de M. Jacquot, maire de Reillon, de s’exprimer ainsi :
« Alors que, peu à peu, disparaissent les traces visibles d’âpres combats grâce à la collaboration de tous les habitants des régions dévastées, il était nécessaire de rappeler ce que les soldats firent ici. Sur cette côte 303, cette pyramide atteste que les poilus eurent raison des Boches. Installés là après trois assauts à la baïonnette, les « bras de chemises » ne purent être délogés. La côte 303 nous resta jusqu’à la fin. C’est de là que partirent les libérateurs de nos frères de Lorraine et d’Alsace vers qui, de ce point, les regards furent tendus pendant les années 1915 à 1916.
Nous nous inclinons devant les défenseurs de notre sol et de nos libertés.
Nous nous souviendrons. Vous vous souviendrez, enfants de nos écoles, et lorsque vous passerez devant cette modeste pierre, découvrez-vous. Pensez aux soldats, à tous ceux qui ont fait ici le sacrifice de leur vie, sacrifice qui nous vaut d’être restés Lorrains et Français … »
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A l’issue de la cérémonie, un déjeuner a lieu à Blémerey dans la maison d’école. Au champagne des toasts éloquents furent prononcés. M. le sous-préfet de Lunéville fut très applaudi. Il rappela tout d’abord qu’en 1918, à l’hôpital de St-Nicolas-de-Port, il eut la vie sauvée par le médecin-major Rebattut, qui fut un des vaillants du 217ème. Avec émotion, il rappelle aussi qu’il est allé chercher à St Clément où il s’était réfugié, le maire de Reillon, M. Jacquot :
« Je t’ai supplié de rentrer, dit-il, et de grouper autour de toi, dans le désert, quelques-uns de tes concitoyens pour empêcher que Reillon ne fut rayé de la carte des communes. Et aujourd’hui, Reillon est bien près d’être complètement restauré.
Vous qui êtes venus en pèlerinage dans cette Lorraine blessée, vous direz chez vous quelle fut la ténacité et la vaillance dans les travaux de la paix de ce paysan lorrain dont vous avez défendu le sol.
Il y a de ces sympathies qui naissent de l’échange du premier regard et où des hommes qui ont sur la France et sur la République des sentiments identiques, se reconnaissent. Il faut le dire, notre victoire est venue parce que des soldats et leurs chefs étaient animés d’une ardente foi républicaine. C’est grâce à eux, grâce aussi, Mesdames, au réconfort permanent qui leur parvenait du contact spirituel de l’âme de la femme française que la barbarie a été refoulée de la plus adorable partie qui ait jamais brillé sous le ciel. »
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Les anciens du 217ème et tous les participants qui les accompagnaient se sont ensuite retirés, très émus de cette poignante cérémonie.