Ce n’est pas le moment !

A propos d’une mesure qui parait pourtant indispensable et urgente au plus grand nombre, quiconque écoute un peu la radio, regarde parfois la télé ou lit quelques journaux digère certainement mal la remarque « Ce n’est pas le moment ! ». Les arguments présentés semblent en effet toujours sans réplique : « Il y a plus indispensable ; l’urgent, c’est le pouvoir d’achat pour les ouvriers, les retraités …, c’est la lutte contre le banditisme …, c’est l’amélioration des conditions de travail …, c’est la réduction du chômage …»

Un exemple ancien qui parle :

Dès 1799, le droit de vote en France est reconnu à tous les hommes de plus de 21 ans. Mais, pour le vote des femmes, « ce n’est pas le moment opportun ! » :

Destinée à la maternité, faite pour la vie de famille, la femme oublierait fatalement ses devoirs de mère et ses devoirs d’épouse, si elle abandonnait le foyer pour courir à la tribune. Voilà comment Emile Morlot, député, résume le sujet en 1884.

Séduire et être mère, c’est pour cela qu’est faite la femme”.  Ça, c’est la réponse du sénateur Bérard en 1919.

En 1944, beaucoup d’opposants à cette mesure sont d’accord sur le principe mais indiquent que des hommes sont encore prisonniers en Allemagne. Selon eux, il faut attendre que les soldats soient libérés …

Et en 1946, quand la décision est finalement prise, de nombreux hommes “sont pour”, mais … « pas maintenant », “pas comme ça”.

Il y avait toujours des prétextes pour retarder la mise en œuvre ….

Aujourd’hui :

En 2022, selon un rapport très récent du Giec[1], l’humanité dispose encore de trois ans pour réduire ses émissions de CO2. Dans leur nouveau rapport sur l’évolution du climat, des scientifiques de l’ONU, experts sur cette question, affirment : «Pour ne pas aller droit vers cet avenir de souffrance, il faudrait que les émissions atteignent leur pic avant 2025, dans seulement trois ans, et diminuent de près de la moitié d’ici 2030 par rapport à 2019 ».

« Nous sommes à un tournant. Nos décisions aujourd’hui peuvent assurer un avenir vivable », insiste le président du Giec, Hoesung Lee, assurant que le nouveau rapport donne les « outils » pour le faire. Ainsi, pour respecter la hausse maximale de +1,5 °C, l’utilisation sans capture de carbone du charbon doit être totalement stoppée. Les usages du pétrole et du gaz, quant à eux, doivent faire respectivement l’objet, par rapport à leurs niveaux de 2019, d’une réduction de 60 % et 70 % d’ici 2050. La « quasi-totalité de la production mondiale d’électricité doit provenir de sources zéro ou bas carbone« , insiste le Giec.

Mais un concert d’objections répond à ces propositions précises : « Impossible dans le contexte sensible de guerre en Ukraine… », « l’Europe ne peut se permettre de refuser le gaz et le pétrole russes … », « le progrès ne peut se confondre avec des restrictions … ».

Si on constate le réchauffement climatique de la planète, on sait pourtant aussi que tous les secteurs (transports, industrie, agriculture, bâtiments…) doivent entamer leur mue rapide, de la réduction de la déforestation à la rénovation énergétique des logements … Et les promesses « creuses » entraînent la terre vers un réchauffement désastreux de 3 °C alors que le monde a encore une chance d’éviter le pire, en transformant radicalement l’économie et en faisant plafonner les émissions d’ici moins de trois ans. Et en commençant par se désintoxiquer des énergies fossiles.

« Certains gouvernements et responsables d’entreprises disent une chose et en font une autre. Pour le dire simplement, ils mentent », a souligné le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Les États qui se sont pourtant engagés en signant l’accord de Paris ne sont pour l’instant pas à la hauteur de l’enjeu, alors qu’un réchauffement de +1,1 °C rend d’ores et déjà « très vulnérable » la moitié de l’humanité, frappée par des canicules, sécheresses, tempêtes et inondations qui se multiplient …

L’humanité n’a donc plus que trois ans pour agir afin de conserver un monde « vivable »… Certains mettent en doute les pronostics et les études mais la plupart reconnaissent le bien-fondé de leurs mises en garde. Et pourtant les sondages largement relayés dans les médias laissent croire qu’il y a plus indispensable, plus urgent encore ! Mais faut-il s’appuyer sur des sondages pour agir et prendre des décisions énergiques essentielles : préserver notre lieu de vie, laisser à nos enfants l’espoir d’un espace de vie souriant !

Alors qu’on ne l’imaginait plus en Europe -la situation en Ukraine nous le précise-, une guerre née la volonté d’un seul homme peut encore aujourd’hui et brutalement briser des projets, détruire des maisons, modifier des existences, contraindre des familles à dormir dans des caves … Pour préserver la planète, ne pouvons-nous pas alors nous astreindre volontairement à quelques mesures incontournables : maitriser notre consommation, réduire notre chauffage, nos déplacements, partager nos besoins … ?

« Un homme devient un homme, quand on le regarde avec le respect dû à l’homme. Il devient adulte, lorsqu’il s’est libéré du besoin de paraître, et qu’il se sent responsable de ce qu’il fait, de ce qu’il ne fait pas, mais aussi de ce qu’il laisse faire[2]. » Ce n’est ni un ministre, ni un philosophe, ni un journaliste qui a écrit ces mots mais un auteur inconnu découvert par un collectif de citoyens obscurs et anonymes qui a ainsi conclu sa réflexion après une longue recherche … Soyons donc persuadés que nos compatriotes accepteront les efforts du bon sens et de la responsabilité si on leur présentait dignement un projet cohérent, généreux et même exigeant qui respecte à la fois les lois de nature et les droits de l’homme !

Pascal JACQUOT


[1]  GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)

[2] Face ; En cheminant vers Soi (1991)

2 commentaires

  1. J’ai pris connaissance de l’article et l’ai lu avec grand intérêt. D’abord, j’ai été interpellée par le titre car il m’est souvent arrivé d’être prise de court et agacée par cette remarque, dans différents contextes. J’ai trouvé particulièrement pertinent, dans cette période de campagne électorale, de braquer les projecteurs sur la façon dont les réticences aux changements nécessaires sont exprimées quand il s’agit d’en dissimuler les raisons peu avouables.

    En effet, l’exemple du droit de vote des femmes est tout à fait parlant ! Et la passivité des gouvernements pour mettre en œuvre les incontournables mesures de transition énergétique effrayante, au regard des catastrophes écologiques et humaines qui adviendront s’ils n’agissent pas.

    Mais voilà : ne rien changer assure des profits colossaux aux industries s’appuyant sur les énergies fossiles, et les trop nombreux technocrates au pouvoir semblent avoir une aveugle confiance en la Science, susceptible un jour, selon eux, de répondre à tous les enjeux. Ils sont également capables d’occulter la réalité la plus criante, et évoluent dans des sphères où l’on se félicite de contribuer à la prospérité des multinationales, versant toujours plus de dividendes à leurs actionnaires.

    Pour finir, je partage une conviction : en 2015, en découvrant le film de Cyril Dion et Mélanie Laurent, « Demain », j’ai compris avec soulagement et enthousiasme que de nombreuses communes – et même de grandes métropoles du monde entier – se mobilisaient fortement pour agir contre le réchauffement climatique, et qu’il était possible de soutenir ce processus pour l’aider à s’amplifier. Je suis persuadée, comme je l’ai exprimé lors de notre dernière réunion, que les élus de proximité, quelle que soit leur sensibilité politique, sont des interlocuteurs à notre portée, qui eux-mêmes peuvent faire levier localement et pousser un gouvernement à agir.

    Géraldine

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