Aller au désert

« Dieu nous fait savoir qu’il nous faut vivre en tant qu’hommes qui parviennent à vivre sans Dieu. » Voilà ce qu’écrivait un grand témoin du siècle dernier, Dietrich Bonhoeffer, exécuté le 9 avril 1945 pour avoir participé à un complot contre Hitler. Une telle conviction n’est pas le point de départ d’un agnostique dans une société indifférente au fait religieux, c’est le point d’arrivée d’un chercheur de Dieu, chrétien engagé. Je me demande s’il n’y a pas là une piste très précieuse pour les temps que nous traversons, car l’Église en France traverse un désert, un temps d’épreuves – qui le nierait ?

David-Marc d’Hamonville, moine bénédictin

Et si nous nous emparions de cette réalité, notre réalité, ce vrai désert du religieux où nous cheminons déjà sans nous l’avouer ? Au lieu de détourner la tête à l’approche d’un nouveau carême en dénigrant l’ascèse, et les rites, et les cendres…

Désert des célébrations, des espaces disproportionnés, des assemblées vieillissantes ! Désert communautaire, désert ministériel. Désert de la prière personnelle, rareté des échanges spirituels, pauvreté de la parole, misère des homélies qui sont trop longues dès le début. Désert de visibilité médiatique, de notre crédibilité de chrétiens dans la société qui nous entoure… La pandémie, sans nous demander notre avis, a précipité le mouvement depuis presque deux ans. Inutile d’imaginer le désert où chemine le peuple de Dieu cette année : nous y sommes !

Christianisme clandestin

Reste l’essentiel : la méthode, le vivre comme sans Dieu, « en tant qu’hommes qui parviennent à vivre sans Dieu » … C’est le fait d’avoir un secret, de tenir secret quelque chose d’essentiel, sans nostalgie, sans frustration. En fait, il est bien vrai que Dieu me fait vivre sans que je sache du tout comment et pourquoi. Sa discrétion est infinie. Ma foi est un mystère qui m’échappe à moi-même. Et ce qu’il veut nous dire dans cette éclipse d’aujourd’hui, nous n’en savons rien.

Refaisons le christianisme clandestin. Le plus clandestin possible. Aux antipodes du médiatique. Nos petits journaux, on se les passe sous le manteau, comme les messages codés qui permettront de trouver la route demain. Ne pas chercher à être vus. Pas de mousse, pas de décorum. Quelques signes seulement pour nous. Les signes sont vitaux, discrets mais indispensables, pour que le secret partagé vive en profondeur.

Mais, dans le visible, rejoindre chacun dans les combats qui valent la peine, avec l’un, avec l’autre, sans exclusive. Mon secret ne me coupe de personne ni de rien. Il m’oblige plutôt à vivre délibérément la vie de tout le monde, responsable à 200 % de ma vie ordinaire.

Sans cesse ma vie clandestine me renvoie vers la vie commune, comme si celle-là seule comptait, comme s’il n’y avait pas d’autre Dieu que mon prochain de chaque jour, avec pour horizon la fraternité la plus large ! La différence qui me fait chrétien n’est contre personne, elle n’a rien d’un parti, d’un étendard, elle m’ouvre seulement à toutes les autres différences, à l’infini des différences qui se mêlent et se heurtent autour de moi.

Vivre de désir et de foi

Tel est mon secret : l’Évangile que je tiens de Jésus, d’une multitude de témoins, connus et anonymes. Je le transmets aussi en secret, sans savoir moi-même exactement quand et comment, à la manière dont germe une graine dans le sillon, le temps venu. Ne cherchons pas à maîtriser Pâques, ce n’est pas à nous d’instrumentaliser et d’orchestrer la Résurrection, cela Lui appartient. Il nous est donné seulement, et c’est beaucoup, de garder un secret précieux, de vivre de désir et de foi au milieu du monde, en révélant à tout prochain qu’il est aimable, plus qu’il ne sait, plus qu’il ne croit.

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