La virginité de Myriam, mère de Jésus

Par Jean RIEDINGER

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Historiquement il est question de cet événement qui surprend, pour le moins. Comment une vierge peut-elle être mère de qui que ce soit ?

On en trouve l’affirmation comme un fait dans deux évangiles et quelques autres textes plus ou moins tardifs de l’antiquité chrétienne. Ce sont les « évangiles » – ou « annonce heureuse » – de Matthieu et Luc.

Ils sont rédigés au sein de communautés qui revendiquent la messianité de Jésus et donc se veulent fidèles à son message religieux, tel qu’elles le comprennent et l’interprètent.

Mais ceci, de façon différente, si l’on s’en rapporte à ce qui nous est parvenu de leur deux textes.

Matthieu, peut être le plus ancien, se situe dans le cadre d’une tradition juive qui reste à l’intérieur du judaïsme d’avant l’an 70 (année marquée par la destruction du temple et l’abandon du culte rituel qui y était célébré).

Mais il recueille l’héritage de Jésus qui s’oppose – jusqu’à en mourir- à l’idéologie et aux pratiques rituelles des prêtres et d’une partie des pharisiens, dans la tradition du prophétisme biblique Livre de la Genèse, Isaïe, Jérémie, Osée, Ézéchiel … etc.

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On notera que le mot latin virginem est la traduction en cette langue du mot hébreux alma

La “jeune fille” (en hébreu alma) a pu être perçue comme “vierge” car, à l’époque, les femmes restaient en principe vierges jusqu’au mariage. La version grecque du prophète Isaïe emploie le terme parthenos “jeune fille”, qui correspond bien à l’hébreu alma, et qui peut lui aussi être associé à la virginité, quoique ce ne soit pas toujours le cas.

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L’évangile de Matthieu débute par une généalogie (symbolique plus qu’historique) qui fait remonter les ancêtres mâles de Jésus à Abraham.

Matthieu : chapitre 1 versets16 et 18

« Jacob engendre Joseph, l’homme de Myriam de qui naquit Iéshoua, dit messie

(…)

L’enfantement de Iéshoua, messie, c’est ainsi : Myriam, sa mère, est fiancée à Iosseph. Avant qu’ils vivent ensemble, elle se trouve enceinte par le fait du Souffle sacré »

(J’ai utilisé les traductions de Chouraki et de la Bible de Jérusalem pour éviter par exemple des contre sens dûs aux significations dogmatiques des Eglises actuelles (notamment le saint Esprit en tant que « personne » de la Sainte Trinité) Cf genèse chapitre 2 verset 7) « IHVH Elohîm forme le glébeux- Adam, poussière de la glèbe- Adama. Il insuffle en ses narine une haleine de vie : et c’est alors le glébeux, un être vivant » (traduction Chouraki) Le texte du même verset dans la Bible de Jérusalem utilise aussi le terme « haleine de vie ».)

Si la jeune fille « alma » n’est pas mariée, elle est normalement vierge au sens biologique actuel du mot. Mais en ce temps-là comme de nos jours il y a des jeunes femmes qui ont perdu leur virginité par viol ou parce qu’elles ont un amant … Et pour Myriam cet amant, selon le récit de Matthieu, ne saurait être Iosseph qui s’apprête à s’en séparer sans la dénoncer … En rêve le messager de Dieu l’en dissuade et annonce le destin salvateur du fils de Myriam. Une première légende de la genèse de Jésus est née.

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Avec Marc, une autre communauté crée sa légende. Elle est probablement plus ou moins contemporaine de celle de Mathieu. Mais il n’est pas question ni de généalogie ni de nativité comme dans l’évangile de Mathieu. Ce qui fait problème dans Marc, mais aussi d’autres textes du Nouveau Testament c’est la mention des frères et sœurs de Jésus.

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Les références

Marc chapitre 6

Les évènements du récit de Marc Jésus vient dans sa patrie (Nazareth) et ses adeptes le suivent Arrive le sabbat : il commence à enseigner dans la synagogue.

Beaucoup l ‘ entendent, sont frappés, et disent : « D’où cela lui vient il bien ? Elle lui est donnée cette parole ? A lui ! Et ces ces choses étonnantes qu’il fait avec ses mains ? »

En français actuel je traduirais par ses prestidigitations (actes réalisés avec des doigts prestes, adroits,agiles)

« Celui-là n’est-ce pas le charpentier, le fils de Myriam ? Le frère de Ia’acob, de Iössei,de Jehouda, de Shim’on  ? Ces sœurs ne sont-elles pas ici avec nous ? » Marc 6 verset 3

Même citation dans Matthieu chapitre 14 versets 54 à 57

Matthieu et Marc ne sont pas d’accord sur le moment de cette visite à Nazareth.Marc la situe tout au début de la vie publique, Matthieu après des semaines de prêches et d’activités de Jésus.

Dans les Acte des Apôtres, après le récit métaphorique de l’Ascension, les disciples de Jésus se retrouvent au Cénacle

« Quand ils entrent ils montent à l’étage où attendent ensemble Petros et Iohanân, Ja’acob et Andréas,Philippos et Toma,Bar Talmaï et Matyah, Ia’acob beb Haphaï, Shim’on un zélote, et Iehouda ben bèn Ia’acob. Tous ceux-là persévèrent d’un même cœur dans la prière, avec des femmes et Myriam, la mère de Jésus, et avec ses frères.

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Confusion entre frères/sœurs et cousins/cousines ?

1°) Les évangiles sont écrits en grec classique utilisé dans le premier siècle de notre ère. Les rédacteurs des textes sont des hommes judéens ou nazaréens instruits, comme le sont les scribes.

Adelphos (frère) et adelphè (sœur) se disent le plus souvent dans les textes grecs de cette époque de ceux qui sont nés du même père ET de la même mère.

Le sens de frères est aussi attribué dans un sens allégorique ou imagé et par extension au mot adelphos pour désigner la grande fratrie de la Cité (des citoyens) ou sous forme métaphoriques le lien entre deux amis très proches Pensez aujourd’hui à l’introduction à l’église d’un sermon traditionnel « mes bien chers frères » (plus rarement « mes bien chères sœurs » – sauf dans les couvents féminins ?)

Je ne vois aucune raison sérieuse de penser que le mot dans les évangiles faisant allusion à la famille de Jésus, dans des textes en grec classique, ait le sens parental de cousin ou cousine. Sauf pour des raisons idéologiques ultérieures à l’époque de rédaction des évangiles. Et il nous faut alors penser à l’Evangile de Luc…et surtout aux effets de la traduction des évangiles du grec … en latin des troisième et quatrième siècle.

2°) L’évangile de Luc a été élaboré après la destruction du Temple de Jérusalem en 70 et la fin du culte juif lié au Temple. Dans les dix ans qui ont suivi la petite communauté des juifs disciples de Jésus va choisir de fait de rester dans la cadre de la religion juive du rabbinisme qui remplace le culte du temple. Et les goys (chrétiens d’origine gréco romaine) se retrouveront dehors de cette mouvance et organiseront la communauté chrétienne romaine.

La relation entre l’humanité et la divinité seront des lors pensés dans une religion renouvelée qui oppose sa conception du rapport de Dieu (Zeus en grec traduit par Deus en latin) avec l’humanité en soulignant que le Dieu des philosophes et des savants est le véritable Père de Jésus et non le malheureux Joseph. Ce dernier est représenté d’ailleurs de plus en plus comme un vieillard devenu impuissant, condamné à une vieillesse inféconde lorsqu’il épousé Myriam même s’il a eu beaucoup d’enfants avant ce pensum. Mais Jésus n’est plus considéré comme le frère des enfants de Joseph car il est en réalité le Fils éternel de Dieu aux sens grec et romain

3°) Dans l’évangile de Luc cette tendance commence à naître et s’exprimer à ses débuts idéologiques dans les années 80-90 de notre ère.

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La légende de l’annonciation est, me semble-t-il, unique dans l’ensemble de la littérature chrétienne du premier siècle. Lire dans l’Évangile de Luc au chapitre 1 les versets 26 à 35

J’en retient deux versets :34 et35

« Myriam dit au messager (angélos en grec) « Comment cela (avoir un bébé) peut-il être puisqu’aucun homme ne m’a pénétrée ? »

Le messager répond et lui dit : « le souffle sacré viendra sur toi, la puissance du Suprême t’obombrera. Ainsi celui qui naitra de toi sera appelé Ben d’Elohim. »

Cf. Luc 1 verset 48 dans le Magnificat : « Il a jeté un regard sur l’humiliation de son esclave…Il a fait des grandes choses pour moi, le Puissant »

L’enfant Jésus né de la transgression voire du viol comme le diront des témoignages rabbiniques certes discutables. Serait-il fils de Dieu ?

Idée des plus révolutionnaires dans une perspective de révélation de l’humain à lui-même.

La virginité de Marie devient un dogme pour les Églises chrétiennes et le pouvoir politique persécute désormais tous ceux qui s ‘opposent la croyance chrétienne officielle.

L’empereur Constantin (272-337) met provisoirement fin aux dissensions entre courants divers au sein des Eglises d’Orient en convoquant le premier concile de Nicée (325). Il affirme son autorité dans le domaine religieux : c’est la naissance du césaropapisme

Le Credo dit de Nicée – convoqué et présidé par Constantin- « vote » le texte impérial du Credo

« Je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible, Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles : Il est Dieu, né de Dieu, lumière, née de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu, Engendré non pas créé, consubstantiel au Père, et par lui tout a été fait. Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel ; Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme. »

Ce credo écarte les Ariens d’Alexandrie (Égypte) de l’orthodoxie de Constantinople qui sont de fait persécutés par les pouvoirs césaro – papistes de Rome et Constantinople.

En effet à Alexandrie, le prêtre Arius professe une doctrine que l’on peut résumer : le Dieu unique est non-engendré : tout ce qui est en dehors de lui, est créé ex nihilo de par sa volonté ; le Logos est un intermédiaire entre Dieu et le monde, antérieur au monde matériel mais non éternel. Le Logos est donc créé, il est engendré mais cet engendrement doit s’entendre comme une filiation adoptive Arius tente ainsi, d’une part, de relayer les idées de Celse sur la conception adultérine du Christ, sans s’attaquer directement à sa conception virginale et d’autre part à se protéger d’un engendrement du Christ par le Père dans un acte physiologique ; le Logos est alors faillible par sa nature, mais sa droiture morale l’a gardé de toute chute  : il est inférieur à Dieu, mais il est si parfait qu’aucune autre créature ne peut lui être supérieure.

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St Augustin est né en 354 à Thagaste (actuel Souk Ahras) et mort en 430 à Hippone (actuelle Annaba). Cf. quelques extraits de plusieurs sermons d’Augustin de l’Episcope (évêque) d’Hippone, qui pense librement en une période où le pouvoir impérial ne favorisait guère cette liberté.

« Il est plus important pour Marie d’être resté disciple du Christ que mère du Christ.

Pour cela aussi Marie est bienheureuse, parce qu’elle écouta la parole de Dieu et elle la garda : elle garda davantage la Vérité dans l’esprit que la chair dans le sein maternel. …Ce qui se porte dans l’esprit vaut plus que ce qui se porte dans le ventre.  »

«  Il [Jésus] dit  : « Les voici, mes frères  ; et quiconque aura fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère et ma mère et ma sœur » (Mt 12, 46-50).

Que nous enseigne-t-il par là, sinon à faire passer notre parenté spirituelle avant notre parenté selon la chair et à tenir les hommes pour heureux non pas du fait qu’ils sont liés par le sang à des justes et à des saints, mais du fait qu’en suivant leur doctrine et leurs exemples, ils deviennent leurs alliés.

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