L’écologie radicale et les catholiques

En prônant le sabotage contre les énergies fossiles, l’universitaire Andreas Malm, né en 1977 à Mölndal, en Suède, est un activiste qui s’attache à concilier marxisme et environnementalisme. Celui qui est docteur et maître de conférences en écologie humaine est reconnu dans le monde universitaire pour ses idées.

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Les lignes ci-dessous sont extraites de l’article de Henrik Lindell paru dans l’hebdomadaire La Vie, n°4058 – jeudi 08 juin 2023, sous le titre : Le « léniniste écolo » Andreas Malm et les cathos

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Contre le capitalisme industriel

Dans Fossil Capital (Verso, 2016), Malm explique le changement climatique comme un problème historique propre au capitalisme industriel, ayant pour origine l’utilisation du charbon pour faire tourner les usines de textile au Royaume-Uni dès le début du XIXe siècle, en remplacement de l’énergie hydraulique, plus difficile à contrôler et à s’approprier. Le dérèglement climatique est ainsi « le produit accidentel des deux derniers siècles ». Autrement dit, l’utilisation des énergies fossiles est historiquement circonscrite et ne relève pas d’abord de l’activité humaine en général, mais d’un système économique fondé sur l’exploitation des ressources et des travailleurs. Tout son raisonnement découle de cette thèse, partagée par nombre d’intellectuels aujourd’hui. Il est également lu et écouté par des écologistes que l’on ne peut associer à l’extrême gauche. Certains intellectuels catholiques trouvent même une compatibilité entre la thèse de Malm, la doctrine sociale catholique et l’encyclique Laudato si’, du pape François.

Il faut dire qu’Andreas Malm a une audience importante en France, pays qui enchante l’universitaire pour « sa capacité à se révolter ». De son passage en France, les médias ont surtout retenu une idée-force de Malm : l’utilité du recours à la violence par le mouvement pour le climat. L’universitaire légitime en effet le sabotage d’installations nécessaires à la production d’énergies fossiles, ce qui le distingue d’une grande partie du mouvement écologiste, qui entend rester non violent.

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Du bien-fondé du sabotage

Le combat de l’universitaire contre l’énergie fossile est celui d’un homme mûr, qui estime que l’enjeu climatique est primordial. Même la cause anticapitaliste passe au second plan. La violence qu’il est censé prôner se veut « rationnelle ». Le marxiste humaniste qu’il est justifie cette pratique quand elle a un rapport direct et évident avec la cause défendue. Il dénonce cependant avec insistance toute violence contre les personnes et s’oppose aux actions « nihilistes » purement médiatiques, comme celle de militants jetant de la peinture sur les tableaux de Van Gogh. Pour lui, le sabotage doit infliger un « coût matériel au capital fossile », en visant par une action précise et ciblée les infrastructures en construction, par exemple. Toute autre action serait « contre-productive ». En s’exprimant ainsi, Andreas Malm se pose simplement en défenseur de l’autorité de l’État, seul acteur qui doive intervenir dans l’économie, de façon ferme et dirigiste, pour mettre un terme à l’utilisation de l’énergie fossile, menace pour la vie de milliards d’humains.

Pragmatique, il est prêt à accepter l’énergie nucléaire existante comme une moins mauvaise option. À l’instar de sa compatriote Greta Thunberg, il s’oppose au démantèlement précipité du nucléaire, quitte à susciter des débats dans les milieux écologistes radicaux. Or, en attendant l’action de l’État, c’est aux citoyens d’agir, même par le sabotage. Dans Comment saboter un pipeline, il n’explique pas comment on organise concrètement une opération de sabotage, mais il se réfère à des exemples concrets de mouvements dont personne ne conteste la légitimité et qui ont obtenu gain de cause en pratiquant le sabotage. Ainsi l’ANC en Afrique du Sud contre l’apartheid ou encore certaines actions de Malcolm X dans le cadre de la lutte pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis. Il se réfère au mouvement « non violent » indien de Gandhi. Il met aussi en avant des actions de sabotage menées par des chrétiens au nom de leur foi dans la lutte contre les armes nucléaires.

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Le dérèglement n’est pas inexorable

Quand on demande à Gaultier Bès, normalien et essayiste catholique engagé dans le combat écologiste, ce qu’il pense du sabotage prôné par Andreas Malm, il le contextualise : « Concernant la violence, il faut dire d’où elle vient : de ceux qui détruisent sans vergogne depuis des décennies, et à leur seul profit, notre maison commune, en minant, bétonnant, polluant tout ce qu’ils peuvent atteindre, et le plus souvent, en pleine connaissance de cause. Comme disait l’abbé Pierre, ce sont eux les violents et les fauteurs de troubles. Beaucoup de défenseurs de l’environnement paient d’ailleurs leur engagement pacifiste de leur vie, notamment en Amérique latine. » Ce penseur qui n’a rien d’un militant d’extrême gauche ajoute : « Devant l’inertie des décideurs, je crains que le système productiviste ne nous laisse guère le choix. Le blocage et le sabotage ciblés des infrastructures les plus problématiques, des chantiers qu’il est encore temps d’arrêter, me semblent de moins en moins illégitimes, après avoir essayé tous les moyens légaux. »

Gaultier Bès abonde dans ce sens. « L’essentiel est de faire entendre à nos contemporains que les dérèglements écologiques et climatiques n’ont rien de naturel ou d’inexorable, mais qu’ils sont la conséquence d’un système d’organisation de la production et de la consommation propre au capitalisme. »

Gaultier Bès voit ainsi une certaine compatibilité entre les idées d’Andreas Malm – la désobéissance civile et le combat contre un système qui détruit la planète et les hommes – et l’enseignement de l’Église catholique. Il rappelle que le Catéchisme de l’Église catholique « pousse assez loin le principe de désobéissance civile » et envisage même les situations où « la résistance à l’oppression du pouvoir politique » peut légitimement recourir aux armes (§ 2243). Et Gaultier Bès d’ajouter : « Évidemment, cela exige un discernement que l’urgence de l’action n’aide guère, mais saboter des structures de péché objectives – un de ces grands projets inutiles qui continuent à défigurer la création – est peut-être dans certains cas une imitation de Jésus-Christ, lequel, on le sait, ne se contenta pas de lancer une pétition ou de manifester gentiment quand il s’est agi de chasser les marchands du Temple. »

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Henrik Lindell

Extrait de l’article La Vie, N°4058 – jeudi 08 juin 2023 : Le « léniniste écolo » Andreas Malm et les cathos

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