Donner ou accepter la mort pour vivre ?

– Marie-Anne Jehl

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Cet article présente beaucoup de questions… et aucune réponse. C’est une réflexion en marche sur des interrogations que nous partageons tous et avec lesquelles nous devons vivre.

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« Tu ne tueras pas. » Point. Pas de complément à ce verbe. Certes, une des traductions du décalogue est « Tu ne commettras pas d’homicide », mais même ainsi, la formule reste catégorique, aucune restriction ou circonstance atténuante, ni légitime défense ni guerre juste. Et pourtant la Bible est pleine de scènes de guerre, menées par un peuple hébreu soutenu par Dieu. Pensons au passage de la Mer Rouge et à l’extermination de l’armée de Pharaon, triomphe de Dieu qui a « jeté à l’eau cheval et cavalier ». Et voilà que même Jésus, qui pourtant refuse de cautionner la lapidation de la femme adultère, semble approuver la peine de mort lorsqu’il dit : « Mais quiconque entraîne la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui attache au cou une grosse meule et qu’on le précipite dans l’abime de la mer. » (Mt 16,6). Où sont le Dieu miséricordieux, l’amour des ennemis, le pardon offert au pécheur ? Une chose semble sûre : Jésus était totalement humain, donc, comme nous tous, parfois contradictoire ou dépassé par ses propres émotions et sentiments. Et quel plus grand sujet d’indignation que le malheur infligé aux enfants ?

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Que faire de tout cela ? On peut se dire d’abord, bien sûr, que le décalogue reste un idéal inatteignable. Dans les religions de l’Antiquité, de toute façon, on tuait pour honorer les dieux et se concilier leurs faveurs. Sacrifices humains, voire cannibalisme, puis sacrifices d’animaux, il fallait que le sang coule. Et les peuples, sur toute la surface de la terre, se sont battus et se battent encore, notamment pour conquérir ou conserver un territoire, c’est-à-dire pour leur survie. Nous en avons hélas la preuve tous les jours.

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L’être humain peut ainsi être confronté à de nombreuses situations où il se demande : « Doit-on tuer, en a-t-on le droit ? »

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Qui est le plus fidèle au message de l’Évangile : celui qui refuse de porter les armes et endosse le statut d’objecteur de conscience ou celui qui, révolté par l’injustice, devient un Résistant armé prêt à mourir pour combattre la tyrannie ? Celui qui, par conviction, ne répond pas à la violence et risque de laisser d’autres en être victimes, ou celui qui s’interpose, si besoin avec une arme, pour neutraliser l’agresseur et sauver des vies ?

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Ainsi, en ce moment même, les volontaires étrangers engagés aux côtés des Ukrainiens sont-ils des héros ou des va-t-en-guerre ?

Certaines situations sont plus claires : nous nous sommes tous réjouis de l’abolition de la peine de mort en France, il y a un peu plus de 40 ans. Robert Badinter avait su montrer que « couper un homme en deux » froidement n’a aucune incidence sur la criminalité et relève de la cruauté pure. En revanche, quelles sont nos pensées lorsque nous apprenons que la police a « neutralisé » un terroriste ? Entre l’approbation ou la réprobation, il y a le soulagement un peu lâche de voir un problème réglé… par d’autres. Nous savons aussi depuis longtemps que les pays riches le sont parce qu’ils exploitent les richesses, donc la vie, d’autres peuples.

Dans un autre domaine, beaucoup moins tragique, depuis des millénaires la plupart des humains, moi comprise, mangent de la viande et acceptent donc que des animaux soient tués pour que nous puissions nous nourrir et vivre. Et que répondre à un enfant à qui on vient d’expliquer qu’une plante est vivante et qui vous demande alors : « Mais si je mange des légumes, je les tue ? Les plantes ont mal quand on les coupe ? » Ces interrogations un peu naïves prennent un nouveau sens aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés au dérèglement climatique et amenés à repenser nos manières de nous nourrir et de vivre.

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« La grande chaîne de la vie » est donc tissée de mort. Heureusement, le plus souvent la mort est une simple fin de vie, sans autre cause que notre caractère mortel. Mais regarder en face les questions cruciales de notre responsabilité directe ou indirecte dans la mort des autres est aussi et surtout « le propre de l’Homme ».

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Marie-Anne Jehl

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(Extrait revue Parvis numéro 116 – 117 de la revue les Réseaux des Parvis, Eté 2023)

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