Qu’est-ce que peut être pour les chrétiens une fête de Noël qui soit davantage qu’un congé bienfaisant, un agréable rassemblement familial, des échanges de cadeaux, un festin des meilleures spécialités, toutes choses bonnes en soi mais pas spécifiquement évangéliques ? Pour le grand mystique du XIIIe siècle, le dominicain Maître Eckhart, la naissance de Jésus est certes un fait historique, mais à longueur de siècles, elle s’effectue désormais au plus intime de l’existence de chacune et de chacun de ses disciples, lorsque ceux-ci accueillent en eux ses paroles et ses actes libérateurs, issus de sa fidélité sans faille à son Dieu jusqu’à la mort, lorsqu’ils les méditent, qu’ils s’en nourrissent l’esprit et le cœur, et qu’ils s’efforcent de les actualiser d’une manière inédite dans leurs choix, leurs relations, leurs engagements. Telle est la façon pour Jésus de naître aujourd’hui dans notre monde, quand sa façon de vivre est actualisée par ceux qui sont convaincus que la voie qu’il a inaugurée est un chemin de vie.
C’est le cas en ce début du XXIe siècle. Il existe, plus qu’on ne pense dans notre vaste monde, des témoins de l’Évangile qui ne sont pas obligatoirement des piliers d’église mais qui rayonnent l’esprit des béatitudes au sein de leur famille, de leur travail professionnel, de leurs relations quotidiennes, de leurs engagements sociaux. On le constate aux fruits produits : la fraternité, le refus du mensonge et de la violence, la simplicité de mode de vie, le partage, la solidarité, l’écoute, l’accueil, la réflexion féconde qui pulvérise les peurs et les préjugés, qui ouvre les yeux sur la réalité et qui est initiatrice des changements que l’on redoute mais qui s’imposent. Ce n’est pas d’ailleurs l’apanage des chrétiens de vivre de l’esprit de l’Évangile qui est un humanisme. Sans l’être, beaucoup de gens, fidèles aux exigences qui montent à leur conscience, mettent en pratique cet esprit, qui est, pour une grande part, commune aux sources des religions et des voies spirituelles. Sociologiquement, les christianismes, le catholicisme et les autres, sont aujourd’hui beaucoup moins voyants qu’en période de chrétienté. Dans nos sociétés occidentales sécularisées, ils sont devenus minoritaires numériquement parlant. Mais l’esprit de l’Évangile est-il moins vécu ? Le Royaume de Dieu que Jésus annonçait et dont il faisait les travaux pratiques ne désignait pas d’abord des Églises qui ont pignon sur rue mais avant tout la qualité d’humanité qui a nom : liberté intime, fraternité, intériorité, authenticité imprégnant les consciences humaines pour se traduire en actes.
Personnellement, je ne me désole pas de la désertion des églises. Ce qui me réjouit par contre tous les jours, c’est de voir l’Évangile à l’œuvre dans les engagements de personnes en faveur des migrants, des pauvres, des oubliés, des malades, des mal à l’aise dans leur peau, et encore dans leurs luttes pour une planète vivable pour tous et contre les puissances d’argent et les dictatures. Le Jésus de l’évangile de Jean dit à ses amis : « Ne craignez pas. Vous ferez mes mêmes œuvres que moi, vous en ferez même de plus grandes… » C’est vrai aujourd’hui comme hier, mais les formes et les circonstances ont changé. Le levain dans la pâte, lui est aussi actif. Le voyons-nous au travail ?
Jacques Musset