Le transhumanisme, sauveur ou fossoyeur de l’humanité ?

Par Frédéric Brillet –

Pour sauver le monde et l’espèce humaine, le transhumanisme propose de transformer cette dernière en misant sur les acquis de la science. Un projet qui suscite des inquiétudes croissantes à mesure qu’il se précise.

Qu’on se le dise : les transhumanistes sont déjà parmi nous et chacun l’a été, l’est ou le sera un jour. En mêlant des idées libérales inscrites dans l’individualisme contemporain à un prophétisme technologique teinté d’optimisme, le transhumanisme fédère des croyants, athées, environnementalistes, scientistes, libéraux libertariens, communistes… Il est vrai que le simple fait de s’affranchir des lois de la nature par les acquis de la science pour améliorer sa vie participe déjà du transhumanisme au sens étroit du terme. « La majorité des retraités connaît aujourd’hui une anticipation de la condition de cyborg[1] : implants dentaires, hanches artificielles, stimulateurs cardiaques installés dans le corps. Et les enfants conçus dans une éprouvette se comptent par milliers », pointe le théologien Dominique de Gramont[2].

Tapisserie Malel

Vienne l’amortalité

Résultat de la fusion d’un être de chair avec la machine, le cyborg du futur ira encore plus loin. Ce sera un « homme augmenté », c’est-à-dire amélioré, bardé de biotechnologies et d’intelligence artificielle qui accroîtront considérablement ses performances physiques et intellectuelles ainsi que sa longévité en bonne santé. Plutôt que l’immortalité, les transhumanistes visent en fait l’״amortalité״, qui donnera aux individus la capacité de se régénérer en permanence.

En accordant à chacun le droit de recourir à la technologie pour progresser moralement, physiquement et intellectuellement, le transhumanisme permettrait à l’espèce humaine d’acquérir la sagesse nécessaire pour maîtriser guerres et conflits et échapper ainsi à l’extinction. S’appuyant sur des progrès scientifiques qui prouvent régulièrement leur capacité à transformer nos vies, le « grand récit » du transhumanisme a tout pour séduire, remarque Dominique de Gramont : « Simple et accessible », il permet « d’échapper au vide de l’air du temps » en apportant une espérance de substitution à la religion ou au politique, le salut venant de la promesse de longévité extrême.

Charité bien ordonnée…

Le socle même du transhumanisme, à savoir une espérance de vie décuplée, suscite la polémique et le doute. « Comment oser prédire l’immortalité quand l’espérance de vie diminue ? La santé éternelle quand les maladies chroniques – cancers, diabète, obésité… – se généralisent ? L’intelligence augmentée quand les pollutions font chuter le QI des enfants ? » tacle le biologiste Jacques Testart. D’autres critiques pointent le risque de surpopulation engendrée par des centenaires qui n’en finiront pas de mourir. Ou, à l’inverse, si l’on stoppait la croissance démographique, l’avènement d’une humanité chenue, triste et confite dans le conservatisme.

En décuplant la longévité, le transhumanisme creuserait par ailleurs les inégalités entre privilégiés pouvant se payer une médecine de pointe et les autres. Car, dans sa version libérale libertarienne, le transhumanisme augmente l’espérance de vie et les performances physiques et intellectuelles d’une petite élite fortunée. Mais à quoi servira-t-il de prolonger la vie humaine sur une Terre devenue invivable pour cause d’environnement et de climat dégradés ? Reste à savoir sur quels critères seront sélectionnés les heureux élus qui pourront embarquer dans cette arche de Noé, à quelles « augmentations » ils devront recourir pour s’adapter au milieu extraterrestre et si tous les volontaires pourront se les payer…

Au-delà de l’espèce humaine, certains transhumanistes s’intéressent à la sauvegarde de la planète. Ils envisagent des manipulations génétiques rendant l’homme intolérant à la viande, ce qui supprimerait toute tentation d’en consommer et donc les émissions de gaz à effet de serre découlant de l’élevage. D’autres interventions permettraient de réduire la taille des humains – et donc leur empreinte carbone –, ou de développer leur altruisme – pour les rendre plus sensibles aux questions écologiques.

Le meilleur des mondes

Se situant dans une perspective évolutionniste, les transhumanistes se disent favorables à l’eugénisme dans une version libérale et non coercitive. Ils souhaitent mettre fin à la loterie génétique en autorisant les futurs parents à pratiquer toutes sortes de tests sur leurs enfants à naître pour s’assurer d’une descendance la plus parfaite possible. Et, à ceux que cela choque, ils ont beau jeu de faire remarquer que les tests prénataux existants permettent déjà aux femmes enceintes dont le fœtus est affecté d’un handicap physique ou intellectuel, comme la trisomie 21, d’avorter. À terme, le projet transhumaniste prévoit d’aller encore plus loin. Les géniteurs se verraient accorder la possibilité non seulement d’éliminer les embryons déficients mais de sélectionner le génome de leurs futurs enfants pour les doter de certaines caractéristiques physiques ou intellectuelles.

C’est ce que pensent les détracteurs de ce mouvement : en prônant l’eugénisme, fût-il libéral, les transhumanistes pousseraient à l’élimination des profils atypiques, faibles ou handicapés. Qu’adviendra-t-il alors des sentiments d’empathie ou de tolérance propres au genre humain qui se manifestent vis-à-vis de la différence ? « La sélection des “meilleurs”, surtout par la reproduction dirigée – tri intensif des embryons, voire leur modification –, diminuerait la diversité humaine, fragilisant l’espèce », alerte par ailleurs Jacques Testart. Un argument qui porte en pleine pandémie…

Enfin, en créant une humanité à deux vitesses, le transhumanisme encouragerait les conflits entre humains augmentés et ceux qui n’ont pu ou voulu se lancer… À terme, cette nouvelle division du genre humain augmenterait le risque de racisme ou de guerre civile. Et, si tout le monde manipule son génome, devient cyborg en incorporant des dispositifs mécaniques et d’intelligence artificielle, l’espèce humaine telle que nous la connaissons disparaîtra, comme l’homme de Néandertal…

Choisir ou non, telle est la question

Face à ces critiques, les transhumanistes libéraux demeurent sereins : en l’absence de coercition, les individus choisissent ou pas d’être augmentés et expriment des préférences différentes sur des traits physiques ou de caractère. Laisser chaque individu décider ne saurait donc poser de problème, pour peu que l’État veille à ce que les humains non augmentés ne soient pas discriminés.

Frédéric Brillet   Publié par TC le 29 mars 2021


[1] Cyborg désigne un androïde ou automate moitié robot et moitié humain.

[2] Dominique de Gramont a écrit Le christianisme est un transhumanisme (Éditions du Cerf).

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