La fuite utile des jours

Sans l’espoir de voir sa semence lever, le paysan « jetterait-il la moisson future aux sillons » comme l’écrit Victor Hugo dans  « Saison des semailles »[1] ?

Sans la confiance de découvrir un poussin déchirer sa coquille 21 jours après, placerait-on un œuf sous une couveuse ?

Sans la certitude que le scion replanté deviendra un grand arbre quelques années plus tard, construirions-nous une perspective pour l’avenir ?

Ainsi la banalité de gestes anodins, d’un poulet insignifiant ou d’un scion fragile nourrit notre émerveillement car l’espoir, la confiance, la certitude sont essentiels pour chacun de nous. Ils nous invitent à la fois à l’abandon et à la détermination  …

Si je sais semer de petites graines de salades, j’apprécie automatiquement la récolte potentielle. Et si j’ai la modestie d’apprendre les actes essentiels pour me nourrir, j’apprends aussi les lois de la vie, j’en devine leurs contraintes et je les accepte pour subsister et vivre !

Mais ce qui était commun hier encore est de plus en plus rare aujourd’hui. L’enfant ne voit plus son père, son grand-père ou son voisin semer, planter, s’inquiéter d’une sécheresse, d’une gelée, s’émerveiller d’une récolte protégée … Le monde mécanisé, internationalisé a réduit le nombre de bras nécessaires pour la production et caché ses exigences au plus grand nombre … Il reste cependant à présent tout aussi important d’apprendre à se nourrir qu’à … lire et écrire. Et si l’apprentissage intellectuel peut faciliter l’apprentissage manuel, les deux doivent toujours se compléter, se solidariser et ne jamais se jalouser ou s’opposer par une quelconque supériorité.

Il ne faut en effet pas oublier que le véritable paysan, le vénérable paysan, est le gardien du pays, celui qui protège et alimente le territoire … Le titre de paysan, loin d’être un reproche comme cela a été souvent le cas, est en réalité une charge de fierté, de noblesse. Tout individu doit apprendre à progressivement le porter … pour vraiment sentir « la fuite utile des jours », apprécier le cadeau de la terre et respecter notre berceau !

                 Pascal JACQUOT


[1] Saison des semailles. Le soir  C’est le moment crépusculaire.

Je contemple, ému, les haillons
D’un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.

On sent à quel point il doit croire

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