– Marie-Pierre Ledru,
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Je viens de lire un texte de Martin Stefens, enseignant de philosophie, qui m’a beaucoup touchée. Il raconte comment, venant d’apprendre qu’il est collé d’un point au CAPES de philo, il vit un retournement : quittant sa colère, sa déception et son amertume, pour accueillir la joie.
Après l’annonce de son échec, il va s’asseoir dans le jardin du Luxembourg, à Paris, pour cuver son chagrin. C’est l’été, le soleil chauffe, les gens sont heureux dans le parc et toute cette joie environnante accentue son amertume. Soudain, le ballon d’un enfant le percute… Et le réveille. Il regarde autour de lui avec un tout autre prisme. Le jardin est magnifique, la nature explose… Sa déception est bien réelle, mais le monde ne se réduit pas à cet échec. Il y a autre chose à vivre… et sans doute une leçon à tirer cet échec : l’année suivante, il choisira de se consacrer entièrement à la préparation de son concours (ce qu’il n’avait pas fait jusque-là) et passera même avec succès l’agrégation.
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Qu’est-ce qui me rejoint dans cette anecdote ? c’est notre responsabilité vis-à-vis de nos émotions négatives. Une responsabilité qui se vit en trois temps.
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Accueillir notre souffrance…
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Nous avons peur de nos émotions douloureuses : personne n’aime souffrir. La tentation est de les verrouiller. « Non, je ne suis pas triste, il y a tellement plus malheureux que moi ». Verrouiller une émotion, c’est l’empêcher de « vivre sa vie », c’est-à-dire de naître, de grandir et de mourir. L’émotion, c’est un mouvement. Regardez un enfant contrarié : il va crier, pleurer, hurler même… Et quelques minutes plus tard, s’il a été accueilli dans son chagrin, il retourne à ses jeux tout joyeux, purgé de sa tristesse. Verrouiller une émotion, c’est paradoxalement, l’enkyster dans notre sensibilité, la figer et lui donner l’occasion de distiller lentement son poison à l’intérieur de nous, sans que nous en ayons d’ailleurs conscience.
Quand on est triste, déçu, frustré, malheureux, commençons par oser accueillir notre ressenti. Accueillir, c’est-à-dire ? Que faites-vous quand vous accueillez un ami ? vous lui ouvrez la porte et lui demandez ‘comment vas-tu ?’. Accueillir une émotion, c’est la même chose : lui ouvrir la porte, lui donner le droit d’être là, et mettre des mots sur ce qui se passe en nous. C’est un temps qui n’est pas très confortable, souvent douloureux, mais salvateur.
… Sans lui donner toute la place …
C’est là que les choses se compliquent. Comment faire la différence entre accueillir sa souffrance et lui donner toute la place ? Dans le premier cas, je fais une place à mon émotion, je lui donne un cadre pour s’exprimer. Dans le second, je me laisse prendre par elle, je la nourris et je l’amplifie. Je me vois si malheureux… et j’y trouve une délectation morose. Il peut y avoir un réel plaisir à s’enrouler dans sa souffrance et fermer son regard à ce qui pourrait nous en sortir. Qui n’a jamais fait cette expérience ? Il y a un moment où nous avons à choisir. Je m’enfonce dans ma souffrance ou je décide de m’ouvrir à la vie qui continue, qui m’appelle. C’est un choix exigeant, qui demande un effort de notre volonté.
…Et passer à l’action.
Quand nous avons pu accueillir pleinement notre souffrance (ce qui peut être long) et choisi de nous tourner vers la vie qui continue, vient alors le temps de l’action. Que me dit cette souffrance ? A quoi m’appelle-t-elle ? A-t-elle une leçon à m’apprendre ? Martin Steffens comprend qu’il ne s’est pas donné les moyens pour obtenir son concours et décide de s’y consacrer pleinement l’année suivante. Une souffrance peut nous amener à prendre des décisions concrètes : rompre une relation toxique, changer dans notre vie des choses qui ne nous conviennent pas. Elle peut aussi nous amener à entamer un travail psychologique pour ne pas rester seul.e avec nos souffrances et bénéficier d’une aide compétente qui nous aidera à comprendre les racines de nos blessures.
Nos émotions douloureuses ont un sens que nous pouvons apprendre à décoder pour redevenir acteurs conscients de notre vie.
Marie-Pierre Ledru, formatrice agréée PRH
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Défis du mois |
DEFI 1 : Quelle est ma réaction première quand je ressens de la souffrance ? Je m’observe sans me juger. DEFI 2 : Dans une situation difficile, je prends le temps d’accueillir mon émotion douloureuse. Je prends le temps de nommer mon ressenti, le plus loin possible, et de l’exprimer. DEFI 3 : Une fois mon émotion accueillie et exprimée, quel pas puis-je faire pour avancer ? |