Déraison

par Michel Théron

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J’ai entendu à l’émission La Terre au carré sur France Inter, le 24 avril dernier, que la technique dite de « l’ensemencement des nuages » pour faire tomber la pluie se pratique dans le monde, dont en France, depuis une soixantaine d’années, sans qu’on ne puisse dire si on obtient grâce à elle un quelconque résultat positif.

Ce sont des spécialistes de géo-ingénierie qui le disaient dans l’émission, et je pense que l’on peut leur accorder crédit. De toute façon l’encyclopédie Wikipédia, qui consacre à ce sujet un grand et foisonnant dossier technique de plusieurs pages, en arrive à la même conclusion au seul paragraphe intitulé Efficacité, dont on appréciera la formulation euphémistique : « Compte tenu de la complexité des phénomènes atmosphériques et de la grande variabilité dans le temps et dans l’espace des précipitations, la mise en évidence de l’efficacité des ensemencements est une tâche difficile. Des expérimentations randomisées n’ont pas permis de conclure. » [lien

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Donc depuis soixante ans les hommes, partout à la surface de la planète, mettent en œuvre des techniques pour faire tomber la pluie qui n’ont pas plus d’efficacité que les rogations du catholicisme, ou les processions de la statue de la sainte Vierge à travers les champs. N’y a-t-il pas dans cette obstination quelque chose de déraisonnable ?

D’autant qu’on ne sait rien quant au destin des produits ainsi envoyés dans les nuages (neige carbonique, azote, iodure d’argent) : ne peuvent-ils pas ensuite polluer la terre, et de façon indélébile ? À la déraison s’ajoute une grande imprudence. Sans parler de la débauche d’énergie mise à lancer ces produits (avions, fusées), vecteurs dont le fonctionnement a évidemment un coût écologique certain.

Je vois là un bel exemple de l’aveuglement et de l’hybris humains. Pourquoi pas aussi une persévérance diabolique dans l’erreur, sur une durée si impressionnante et encore aujourd’hui pratiquée ? Ou, dans une civilisation technicienne évoluée, une persistance de la pensée magique ? Sinon comment expliquer qu’on continue à croire dans une technique qui ne marche pas ?

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Je ne sais quelle sera la némésis qui sanctionnera cette hybris. La météo reste encore une image du destin, et on ne peut pas la dompter à son gré. En tout cas les Anciens avaient bien raison, en disant que Jupiter commence par rendre fous ceux qu’il veut perdre (Quos vult perdere, prius dementat).

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M.T. www.michel-theron.fr

Un commentaire

  1. La réflexion de Michel Théron, bien intitulée « Déraison », évoque pour moi une autre émission (télévisée) « Rendez-vous en terre inconnue » sur France2, qui a permis la rencontre et les échanges du chanteur français Slimane avec la tribu de deux hôtes africains de Guinée-Bissau, sur un archipel au large de l’Afrique de l’Ouest.
    Les Bijagos ont blotti leurs villages à l’abri d’une forêt dense et humide, qui les protège et les nourrit. Ce peuple, dont la mémoire a été profondément marquée par l’esclavage, vit, aujourd’hui encore, loin des regards. Ici, le respect de la nature va de pair avec le maintien de croyances animistes et de coutumes séculaires. Les esprits cohabitent avec les hommes, et dictent certains usages (même si, aujourd’hui, les traditions sont parfois bousculées par les incursions de la modernité et les envies d’ailleurs des plus jeunes !).
    A travers les échanges de cette émission, on devine toute une organisation sociale bien différente de nos pratiques occidentales. Et les valeurs d’accueil, de soumission aux forces de la nature, d’attention aux plus fragiles, offrent une ouverture et une conscience dont nos scientifiques pourraient être jaloux. Notre supériorité économique qui s’appuie sur la finance aurait-elle en effet perdu le bon sens naturel que nous avions aussi quand il se protégeait sur l’observation et la transmission de nos traditions ancestrales ?
    Pascal
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    https://www.france.tv/france-2/rendez-vous-en-terre-inconnue/5989560-slimane-chez-les-bijagos.html

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