Par Pascal Jacquot
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Être vieux
« Dans tout vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé ! »
Cette expression bien connue correspond certainement au ressenti de tous ceux qui passent – pas toujours progressivement- de la vie professionnelle, dite active, à la vie retirée, parfois paisible ! Mais chacun doit faire l’expérience singulière de son propre vieillissement sans pouvoir se le représenter clairement à l’avance ; il faut le vivre pour pouvoir exprimer l’évolution de son cheminement, en fonction des étapes déjà parcourues, des épreuves rencontrées …
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La vieillesse crée souvent un effet de surprise et d’étrangeté. Mais en refusant de la considérer sur le seul mode de la désolation car c’est aussi un temps où l’on gagne en liberté, où l’on assume de nouvelles expériences et où, jusqu’au bout, on peut vivre, apprendre, découvrir … Parler des vieux en général est une illusion, car nous avançons chacun en âge différemment, selon notre santé, nos activités, notre propre regard sur la situation. La vieillesse n’est pas le début de la mort, comme on la présente trop souvent. C’est la poursuite de la vie, malgré des manques et des contraintes.
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Pourtant, si les années apportent expériences et compétences, elles fragilisent progressivement les forces, l’endurance et certainement aussi la souplesse ! Les laborieux qui apportaient autrefois leur concours jusqu’à un âge avancé ne peuvent, ne veulent plus assumer ainsi des responsabilités trop lourdes, des tâches trop fatigantes … Beaucoup d’employés encore jeunes qu’un burn-out (mot inconnu il y a peu) a fragilisé ou terrassé à cause de conditions de travail trop tendues, stressantes, attendent aujourd’hui avec impatience l’heure de passer la main !
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Le plus préoccupant est la pente insidieuse qui conduit à considérer comme « moins humain » quelqu’un qui n’est plus capable d’assumer correctement son travail, qui n’a plus pour son entreprise un rendement suffisant et qui devient malgré lui une charge inutile, un poids à liquider … Ce qui est déjà ressenti dans le milieu professionnel l’est encore davantage, par la suite, dans le milieu médical, quand s’habiller seul, faire sa toilette devient une préoccupation pour l’invalide ! Sans parler de la souffrance de celui qui est atteint de troubles cognitifs, ne sait plus ce qu’il vient de dire ou n’est plus en état de prendre une décision autonome …
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Dans toutes les sociétés traditionnelles – européennes, africaines, asiatiques -, une personne était considérée comme d’autant plus sage qu’elle avait plus d’expérience, avait vu davantage de choses : les plus âgés constituaient des pôles de référence. Cette représentation a disparu de la modernité, qui considère trop souvent que les vieux sont hors circuit et on les ignore ou les écarte parfois de tous les pôles de décision ou de choix. Pourtant la grand-mère, le grand-père qui peuvent encore partager quelques tâches concrètes avec leurs petits-enfants, ne laissent-ils pas toujours des souvenirs indélébiles à leurs descendants ?
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Un fossé s’est cependant ainsi creusé entre les générations. Il est d’abord le résultat des changements structurels de notre société, qui multiplient les familles nucléaires[1] parents-enfants, voire de plus en plus monoparentales, qui défont les relations de proximité avec les générations plus âgées. Ce fossé est aussi le résultat du « jeunisme » ambiant, qui place au centre les nouvelles générations et met à l’écart les plus vieux, considérés comme peu « attractifs », peu adaptés, en un mot, « dépassés » …
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La vieillesse reste trop souvent le symbole du passé … Elle manque aujourd’hui d’une véritable place, d’un statut … alors que le présent aurait tellement besoin d’elle comme ancrage pour construire un avenir solide ! Que les « vieux » se consolent alors et n’oublient jamais ce qui les a animés : la sagesse de leurs expériences, la patience de leurs déceptions, la gratuité de leurs traditions, la chaleur de leur spontanéité, les récompenses de leur dévouement … Reconnues ou pas, elles sont de vraies richesses qui, elles, ne dévalueront jamais !
Pascal
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[1] Il s’agit des parents qui vivent avec leur(s) enfant(s) ; cette structure familiale se distingue de la famille élargie.
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Merci Pascal de ce témoignage qui me parle. J’ai atteint 87 ans. Le temps qui me reste n’est pas une attente de ne plus exister mais d’exister tant que ce sera possible.
Jean