Une parole, un message

  J’ai lu un livre*. Les lignes qui suivent ne prétendent pas en faire une présentation objective ou un résumé mais elles essaient simplement d’exprimer ce que j’ai ressenti, découvert et ce que je crois.  Car il y a un monde entre le Jésus de Nazareth avec ses convictions, ses perturbations, ses énormités, ses transgressions tel qu’il apparaît dans certains textes des évangiles et toutes les interprétations, toutes les orientations théologiques avec leur pointillisme que les religions ont engendrées…

    1. Un langage simple, un message toujours neuf

    Voici un langage imagé, provocateur :

    “Ne vend-on pas cinq moineaux pour dix francs ? “Chaque cheveu de votre tête est compté”  (Luc 12, 6-8)

    “Quel père donnerait à son fils une pierre quand il attend du pain ?” (Mt 7, 10)

    “Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton œil et alors tu verras clair pou ôter la paille de l’œil de ton frère” (Mt7, 5)

    “Il est plus difficile à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu qu’à une corde de passer par le chas d’une aiguille” (Lc 18, 25; Mc 10, 25; Mt 19, 24)

     “Le royaume de Dieu est à l’intérieur de vous, il est nulle part ailleurs (Lc 17, 21).

    Et voici aussi  des apostrophes cinglantes envers l’esprit méticuleux, celui qui tient compte du détail mais perd de vue l’essentiel, la réforme intérieure :

    “Vous filtrez le moustique, mais vous avalez le chameau” (Mt 25, 24)

    ‘”Vous nettoyez l’extérieur du verre et de l’assiette mais l’intérieur est tout plein de butin volé et de vice” (Mt 23, 25)

    “Je suis venu jeter le feu sur la terre” (Lc 12, 49).

    Jésus a un langage concret. Il exprime la vie, l’expérience quotidienne, il vit intensément, il aime parcourir les chemins de campagne. Et si l’on consent à regarder le monde d’un œil neuf, avec une conscience limpide, on devine le paradis potentiel de ce monde ! Comme si la nature, pour célébrer l’année nouvelle au printemps, se revêtait de pourpre (Mt 6, 28). Et même les monotones déserts, les régions glacées des pôles, les cristaux invisibles noyés dans les roches, l’évident bonheur des alouettes dans la lumière des midis d’été… Le leitmotiv de Jésus, c’est la vie, vie intégrale, puissante, dévorante, féconde, prolifique.

    Jésus exagère parfois. C’est un signe de vitalité, c’est l’exubérance de l’esprit et du cœur. L’évangile n’a rien d’une “sagesse”; c’est un appel à une autre façon d’être, un appel pressant, exigeant, parfois cruel. Jésus dit :

    “Vends tous tes biens, donne l’argent aux pauvres” (Mc 10, 17; Mt 19, 14; Lc 18, 18) et le jeune homme se retire, triste.

    “J’arrive tout de suite. Mais laisse-moi d’abord enterrer mon père” (Mc 8, 10; Lc 9, 58) répond un invité. La réplique est terrifiante: “Laisse les morts enterrer les morts”.

    “Aimez vos ennemis” (Mt 5, 44 Lc 6, 27 et 6, 32)

    “Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre” (Mt 5, 39; Lc 6, 29)

    2. Un style spontané, un message qui touche

    Ainsi, si nous écoutons avec attention parler Jésus, nous rencontrons un tempérament vif, primesautier, assez imprévisible, un être modeste, vraiment bon et travaillé par une passion intérieure. La parole de Jésus est concrète, spontanée, toujours jeune. C’est un langage qui parle encore aujourd’hui. Et nous entendons un message qui interpelle parce qu’il nous touche maintenant comme aux premiers temps. C’est parce que Jésus n’institue pas une religion, avec ses dogmes et ses rituels, que ce message reste vivant et n’a pris aucune ride. Il ne propose pas un culte, il appelle à une conversion. Il ne propose pas un ordre nouveau, il invite à une autre façon d’être, une nouvelle disposition orientée vers d’autres plaisirs inconcevables : celui de donner, d’aider, de pardonner… Pour Jésus, “quand tu as vu ton frère, tu as vu ton Dieu”: Dieu n’est plus au “ciel”, il est autour de nous, dans tous les frères humains que nous rencontrons ! “L’arrivée du royaume de Dieu n’est pas observable du dehors, on ne dira pas : il est ici, ou : il est là, car, voyez-vous, le royaume de Dieu est à l’intérieur de vous (Lc 17, 20). Le royaume de Dieu* ne vient pas s’imposer, il ne “tombe pas du ciel”; il ne fait qu’éclore en nous peu à peu et sa venue dépend de notre capacité d’accueil : ce n’est pas une chose extérieure, c’est une disposition intime. Le trésor est là, en nous, dès aujourd’hui: il suffit d’y être attentif; l’être nouveau attend en moi d’être reconnu et mis au monde (n’est-ce pas d’ailleurs ce que la théologie a matérialisé sous le nom de résurrection!).

    Si Jésus interpelle les intellectuels, les docteurs, les pharisiens, c’est parce qu’ils figent la réflexion en construisant des dogmatismes, en forgeant des catéchismes. Le “pauvre en esprit” a l’ingénuité des enfants, la spontanéité de l’artiste et il conserve l’intelligence du cœur. D’ailleurs, ce qui nourrit en nous la fraternité, la bonté, la solidarité -en un mot l’humain- ne provient ni des connaissances, ni de la réussite sociale. L’essentiel se cache dans la spontanéité affective, celle de l’enfant qui est en nous : “Je te félicite, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché ces choses aux savants, aux avisés et de les avoir révélées aux enfants” (Mt 11, 25; Lc 10, 21).

     Ainsi, à travers les propos de Jésus, nous découvrons un certain style* et nous entendons presque sa voix dont le timbre est unique. Nous le reconnaissons assez facilement dans les trois évangiles synoptiques de Luc, Marc et Matthieu qui ont mis par écrit les paroles même de Jésus qui s’étaient gravées dans les mémoires : réparties vives et inattendues, paradoxes et paraboles…. 

    3. Une parole interprétée, un message orienté

    La parole de Jésus  a souvent été tamisée dans les écrits et elle s’est embuée avec les années du poids des coutumes et des pratiques. Pour mieux sentir qui est vraiment Jésus, il faut essayer de distinguer les mots spontanés qu’il a réellement prononcés et les observations personnelles des rédacteurs de textes: même Matthieu, avec son érudition biblique, accumule des références à la Thora et Luc qui fut un ami de St Paul a un don de poésie et est un écrivain. Quant à l’évangile de Jean (nom collectif qui désigne un groupe de juifs chrétiens), plus tardif, déjà inspiré par une théologie en formation, les paroles même de Jésus ne sont pas présentées en direct et l’homme de Galilée n’apparaît pas avec le même style*: là, Jésus parle de lui-même, se met en avant, insiste sur ses relations avec son Père, se présente comme Messie envoyé par Dieu, se déclare “lumière du monde”(8,58), “pain de vie” (6,35), “voie, vérité et vie”, (10,6) “résurrection et vie” (11.25), affirme “Personne n’accède au Père si ce n’est par moi”…

    De plus les derniers mots de Jésus sur la croix sont en réalité tirés des psaumes. Le Magnificat est un bouquet de citations bibliques. Et personne n’était évidemment là pour entendre la conversation de Jésus dans le désert ou son dialogue avec le diable ! Dans ces textes on ne reconnaît plus le Jésus des trois évangiles synoptiques, humble, discret, qui ne se prétend pas Dieu ou fils de Dieu et qui répond quand on l’appelle “bon maître” : “Pourquoi m’appeler bon maître ? Seul Dieu est bon ” (Mc 10, 18 et 18, 18; Mt 19, 16).

    Nous le reconnaissons encore moins facilement parfois dans les propos de Paul… et je ne dirai rien des exégètes, bulles, encycliques, lettres pastorales… qui, même lorsqu’elles veulent clarifier, élucider, voilent souvent la spontanéité originale des propos de Jésus.

    4. Jésus “christianisé”, un homme déifié

    La tendance à “christianiser” le langage de Jésus apparaît déjà chez Marc quand Jésus annonce sa mort et sa résurrection (8, 3; 9, 31; 10, 3). Un tel langage à connotation théologique prendra une place croissante jusqu’à envahir, plus tard, l’évangile de Jean.

    Or le Christ proprement dit et sa mission relèvent de la foi, tandis que le vêcu de Jésus de Nazareth dépend de la mémoire des témoins. La foi avec les interprétations sur des phrases faussement attribuées à Jésus et surtout les textes des épîtres de Paul, rechignant à admettre l’humanité de Jésus, va perdre de vue l’homme de Galilée pour revêtir le Christ en majesté, juge des dernier temps.  Et pourtant dans Marc (15, 2), à la question sarcastique de Pilate: “Tu es le roi des juifs ?”, Jésus donne une non-réponse “C’est toi qui le dis”!

    Mais, ce qui a conquis le monde, ce n’est pas une religion de plus, une théologie, une doctrine; c’est la voix impérissable et proche de nos cœurs d’un être qui a mieux exprimé que quiconque ce qu’il y a en nous de plus spécifiquement humain. Un être si profondément humain que, malgré les siècles et la diversité des cultures, nous le reconnaissons encore. Or, de l’homme Jésus, on a construit le Christ pour être le médiateur entre Dieu et les hommes. Le premier, Jésus, a un tempérament complexe de routier, de poète, de meneur d’hommes, de révolutionnaire; le second, le Christ, est un être mythique. L’emprise de la théologie nous a éloignés de Jésus en le confondant pour prétendre le glorifier. En divinisant Jésus, le trahit-elle car il n’a rien affirmé sur lui-même et est resté parfaitement discret sur sa vraie nature ?

    5. Parole et foi

    Une lecture attentive des différents textes évangéliques nous invite à bien distinguer ce qui est le compte-rendu des réactions exactes de Jésus (ou la mémoire de ses paroles) des interprétations et orientations prises ensuite par ses fans. Il ne s’agit pas ici de critiquer, encore moins de juger ces dernières car elles reposent sur ce qu’on appelle la foi.

    M’est-il cependant permis de préciser ici qu’à une foi définie, codifiée qui répond aux principes théologiques d’une Eglise et qui peut peser comme un carcan sur l’esprit,  je préfère la “confiance*” qui donne un sens à notre vie: “Ce que vous demandez dans cos prières vous l’obtiendrez si vous avez confiance” (Mt 21, 22; Mc 11, 24; Jn 13, 24; 15, 7; 15, 16;  16, 23).; “Cherchez et vous trouverez, demandez et vous recevrez, frappez et l’on vous ouvrira” (Mt 2; Mc 7, 2; Lc 11,9). Car la confiance émane du cœur, émerge de l’amour, procure la paix de l’âme par un certain détachement à l’égard des biens temporels éphémères. La confiance est vivante et croît avec le temps. Dans la confiance, ce n’est pas seulement la “tête”, c’est la personne entière qui participe et s’engage.

    Les convictions de l’homme Jésus et son message me touchent profondément. Par contre, la déification de Jésus, sa christianisation -qui est une interprétation- m’interpellent mais je n’arrive pas à suivre. Parce que j’admire Jésus, homme accompli et parce que son “Dieu”, tellement intérieur, tellement proche, tellement humaniste, me semble très attachant, je suis invité à être le disciple du prophète Jésus. Par contre comment pourrai-je accepter d’être un fidèle docile et souple d’une religion qui ligote. Je ne me sens pas concerné par tout le fatras, le pointillisme des religions qui déifient le message de Jésus en l’interprétant (le confisquant ?). Alors faut-il jeter le bébé Jésus avec l’eau du bain de la religion ? C’est souvent ce qui se passe mais pour ma part, je ne peux pas. Mais je ne peux pas non plus m’appuyer sur une religion pour découvrir le Jésus seulement homme que j’admire et qui m’invite à le suivre… Alors ? Je partage tout à fait la réflexion d’Albert Jacquard : “Est-ce parce qu’il est Dieu, ou “fils de Dieu consubstantiel au Père”, ou simplement un homme qu’il faudrait prendre au sérieux ou au contraire négliger ce que dit Jésus ? Je préfère L’écouter, réfléchir à ce qu’il propose et éventuellement y adhérer. Mais pourquoi me poser des questions sur Sa nature divine, auxquelles je ne pourrai jamais avoir de réponses rigoureuses ?”

                                                                                      Pascal  JACQUOT

    * Si vous souhaitez découvrir davantage le style de Jésus, mieux comprendre le royaume du Dieu de Jésus, avoir confiance et mieux appréhender une conversion, une renaissance comme Jésus nous y invite, lisez “Jésus en direct” de Jean Onimus, Edition Desclée de Brouwer

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