Une nuit de Noël

Jean-Paul Vesco

C’est la nuit du 24 décembre 2000, une pluvieuse et froide nuit de Noël à Bethléem sous couvre-feu, en pleine intifada. La basilique de la Nativité est sombre, aux trois quarts vide. Quelques instants avant le début de la veillée de Noël présidée par Mgr Sabbah, patriarche latin de Jérusalem, Yasser Arafat, accompagné du maire de Bethléem et d’une petite délégation d’officiels musulmans, entre discrètement et prend place dans l’assemblée. Pour rien au monde il n’aurait voulu renoncer à ce geste fraternel vis-à-vis des Palestiniens chrétiens, un geste posé chaque nuit de Noël. Le Noël suivant, le climat de tension est plus fort encore et Yasser Arafat, finalement, n’est pas autorisé à entrer dans Bethléem. Mgr Sabbah fait alors poser le célèbre keffieh blanc et noir sur la chaise restée vide. Cette image a fait le tour du monde, bien plus que celle de la présence physique de Yasser Arafat.

La complicité entre ces deux hommes, de religions différentes mais engagés dans un même combat pour la dignité et la survie de leur peuple, a été l’une des grandes inspirations de ma vie alors que je m’apprêtais à rejoindre l’Algérie.

À un moment où notre monde se délite, où la loi du « moi d’abord », c’est-à-dire la loi du plus fort, est érigée en morale politique, où les grandes institutions internationales ont révélé leur impuissance à réunir des parties en conflit autour d’une table de négociation, à mettre fin à des crimes contre l’humanité à Gaza et ailleurs, manquent cruellement des voix et des signes prophétiques de paix et de réconciliation. Où sont les de Gaulle-Adenauer, les Mitterrand-Kohl, les Mandela-de Klerk, les Arafat-Rabin… ? Plus près de nous, le pape François et Ahmed el-Tayeb, le grand iman d’Al-Azhar, ont posé un tel geste en signant conjointement une déclaration sur la fraternité humaine, à Abu Dhabi, le 4 février 2019. Sans grand écho malheureusement.

À la lumière de Noël, alors que nous célébrons la naissance du Prince de la Paix, il nous appartient à chacune et chacun, qui que nous soyons, où que nous soyons, de poser des gestes prophétiques de réconciliation et de paix en tendant la main à l’un·e de nos « prochains-lointains ». Nous sommes impuissants à construire la paix du monde, mais plus l’horizon s’assombrit, plus réchauffent les cœurs les petites lucioles d’espérance qui tiennent dans le creux de nos mains.

Belle fête de Noël ! Belle fête de l’« invincible espérance » selon l’expression du bienheureux Christian de Chergé, prieur de la communauté des moines de Tibhirine.

Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger

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