Sous le mot “Dieu”, quel sens pour moi aujourd’hui ?

Quand Jésus professe « Dieu », à quelle expérience humaine, fondamentale et universelle sa parole peut-elle renvoyer pour des non-religieux d’aujourd’hui ?

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Jésus désigne constamment Dieu comme source de son inspiration et de ses engagements, notamment en le nommant « Père ». Mais son Dieu-Père est Celui des prophètes selon lesquels le seul vrai « culte » que l’on puisse Lui rendre est avant tout de pratiquer, individuellement et socialement, le refus du mensonge et le souci du vrai, la passion de la justice, l’attention et le service envers autrui, notamment à l’égard des oubliés, des marginalisés, des rejetés, des paumés. Au niveau du langage, Jésus ne pouvait s’exprimer autrement pour désigner l’origine de ce qui l’inspirait au plus intime dans ses engagements, puisqu’il était enraciné dans sa culture religieuse juive et ses représentations. Chaque humain au cours des temps, depuis le néolithique jusqu’à nous (8), ne peut se penser et penser son expérience qu’à travers la culture de son époque (9).

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Mais quand on regarde de près ce qui est engagé existentiellement chez Jésus dans l’emploi du mot « Dieu », on voit que ce mot désigne pour lui, comme pour les prophètes, une Exigence intime (avec un grand E) qui s’impose à quiconque veut s’humaniser réellement. « Dieu », c’est l’appel à pratiquer l’ouverture permanente de son être avec le souci constant de ne pas se laisser piéger par les apparences trompeuses, les faux semblants, les mensonges, les petits arrangements, dans lesquels on risque constamment de s’installer si l’on n’est pas vigilant. Et c’est aussi l’invitation pressante à les dénoncer et à lutter contre.

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Quand Jésus dit « Dieu », il ne sait pas plus que nous aujourd’hui quelle est la profondeur du mystère qu’il désigne par ce mot, car dans sa Tradition biblique, ce vocable renvoie à une réalité innommable et inconnaissable. Toutefois, il a appris d’elle que cette mystérieuse réalité est considérée comme le fondement de la Vie qui anime tous les êtres vivants. En se servant de ce mot familier de sa religion, il rendait compte d’une sollicitation intérieure qui l’invitait avec insistance à devenir honnête avec lui-même sans se mentir, à maintenir ouverte en lui la nécessité de choisir le vrai et de s’engager pour la cause de la fraternité humaine ; inversement, cette sollicitation intime l’exhortait à faire taire la tendance à se replier sur lui-même, à refuser une tranquillité peinarde, à questionner ses convictions du moment, à dépasser ses préjugés, à affronter les orthodoxies qui se faisaient passer pour la Vérité. De cette invitation, il a fait les travaux pratiques avec quel courage et quelle détermination, jusqu’à y laisser sa vie !

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À vingt siècles de distance, des hommes et des femmes de la modernité présente, pour qui « Dieu » est devenu un mot vide, ne sont-ils pas sensibles eux aussi, quelle que soit l’aire culturelle dans laquelle ils vivent, à l’exigence intime que ce mot désignait pour Jésus, lorsqu’il appelait ses compatriotes, à ses risques et périls, à penser et à agir dans la rectitude intérieure, à redonner dignité aux humains mis au rancart, à contester le système qui les déshumanisait, et quand il pressait ceux qui entretenaient ce système inhumain à ouvrir les yeux et à changer leurs manières d’agir. J’en suis persuadé en voyant vivre des amis agnostiques ou athées, dont la qualité d’existence m’émerveille.

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N’éprouvent-ils pas le même appel intérieur quand ils s’efforcent de vivre vrai et de refuser de se mentir à eux- mêmes, et quand, au fond de leur conscience, ils se sentent sollicités, à ouvrir leur esprit et leur cœur au-delà de leurs paresses, de leurs étroitesses, de leurs évidences instinctuelles ? À quels engagements cet appel les convie-t-il ? Leur réponse inédite dépend de chacun. Ce peut être, par exemple, rejoindre autrui qui a besoin d’un compagnonnage, choisir un style de vie sobre par solidarité avec les moins fortunés et par respect pour la planète commune, s’engager dans l’accueil de réfugiés mal perçus par l’entourage, s’investir dans des actions de conscientisation en direction de publics non informés ou désinformés, s’obliger à faire sérieusement le point sur sa manière de vivre, etc.

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Ne vivent-ils pas là une expérience de « transcendance » non religieuse, au cœur même de leur fidélité au meilleur d’eux-mêmes ? J’entends, bien sûr, le mot « transcendance » dans le sens de ce qui invite, voire provoque l’être humain à surmonter son confort routinier pour emprunter la voie d’une humanisation véritable.
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Cette exigence intime d’humanisation est donc une expérience qui, en soi, n’a rien de « religieux », mais qui témoigne de la grandeur de l’homme capable de dépassement et d’ouverture en réponse à ce qui l’appelle mystérieusement en ses profondeurs. Cette expérience, éminemment personnelle, bien que vécue en lien avec d’autres qui s’y emploient de leur côté, n’a rien à voir avec le volontarisme (celui-ci en est plutôt l’ennemi). Elle se vit, me semble-t-il, dans un patient mûrissement de soi-même, où ne sont pas exempts les tâtonnements, les échecs, les hésitations, la traversée de la nuit, mais où demeure, quoi qu’il arrive, le souci de « vivre vrai et de penser juste » comme disait Marcel Légaut.

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J’avancerai pour conclure que, nous autres humains du XXIe siècle, membres ou non d’une religion, nous sommes tous, si nous ne nous y dérobons pas, inspirés au plus intime par les mêmes exigences que celles qui provoquaient Jésus et les grands spirituels de tous les temps et les convoquaient aux grands chantiers de la fraternité vécue et de la pensée qui libère de tous les enfermements.

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C’est la raison pour laquelle je m’efforce de considérer chaque adulte, chaque jeune et chaque enfant – connu ou inconnu – comme des acteurs déjà à l’œuvre ou en puissance de s’investir dans ces chantiers, les seuls qui vaillent. De quoi m’émerveiller, et m’inciter à me joindre à ces compagnons d’où qu’ils viennent pour faire advenir du neuf qui fait vivre et pour lutter contre ce qui anesthésie et réduit en servitude.

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Jacques Musset (Vous êtes invités à préciser vos réactions dans les commentaires ci-dessous)

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(8) Pour un christianisme sans religion. Retrouver la voie de Jésus de Nazareth, Bruno Mori, Karthala, 2021, (pages 15 à 33).
(9) Pour un christianisme d’avenir, John Shelby Spong, Karthala, 2019, (pages 33-36) ; Distinguer entre expérience et langage explicatif.

Note : 4 sur 5.

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