Peut-on éviter les chamailleries avec ceux qu’on aime ?

Par Nicole Prieur

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Selon Nicole Prieur, les différends avec nos proches sont à prendre en considération. La psychologue et essayiste nous invite à dépasser l’illusion de la bonne entente et de l’apaisement à tout prix pour laisser place à « une relation vivante dans laquelle chacun peut évoluer ».

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Dans le contexte actuel particulièrement angoissant à cause des multiples guerres, de la lutte contre le réchauffement climatique, de combats pour préserver la planète, nous avons surtout envie d’une chose : que notre couple, notre famille, nos milieux amical et professionnel soient des havres de paix. C’est tout à fait compréhensible… mais bien illusoire.

Plus encore, cette idéalisation de nos liens de cœur est dangereuse, on attend trop de nos proches. Et sitôt que quelque chose nous oppose aux autres, ou qu’ils ne répondent pas à nos espérances, nous ne le supportons pas. Cela nous rend malheureux, ou agressif. On leur en veut de ne pas nous comprendre, ne pas nous écouter, ne pas être d’accord… et l’on risque d’entrer dans une spirale négative. Ne nous laissons pas piéger par le mythe du « tout consensuel », très à la mode, qui nous laisse croire qu’il suffit de s’aimer pour être heureux, apaisé, nous entendre les uns avec les autres. Si c’était si simple, nous le saurions !

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Des tensions inéluctables

Cela ne tient pas compte des tensions qui existent même, et peut-être surtout, avec les personnes que l’on aime le plus. Elles sont inéluctables, car portées par le désir d’advenir à soi. Plus nous aspirons à être respectés et reconnus dans notre singularité, plus nous souhaitons être indépendants, plus nous nous émancipons de certains modèles trop sclérosants, plus il y aura des oppositions, car chacun cherche à s’affirmer, s’accomplir.

Ce qui est formidable, mais fait émerger des oppositions. Nous sommes des êtres en devenir permanent de la même manière que nos amoureux, amis, enfants qui eux aussi se transforment sans cesse, et aspirent comme nous à être respectés dans leur singularité. Nous avons constamment à nous adapter les uns aux autres, à nous accorder. C’est cela qui garantit une relation vivante dans laquelle chacun peut évoluer.

Les querelles avec nos proches peuvent être un moyen de réguler les liens, de les faire évoluer vers un équilibre plus satisfaisant. En fait, elles révèlent ce qui nous blesse, mettent en évidence les grains de sable qui nous irritent. Il est important de prendre en considération et d’examiner nos différends. Les disputes nous en offrent l’occasion. Regardons-les non pas comme des accidents de la relation, mais comme facilitatrices de dialogue, comme le prélude à des discussions utiles. Pour éviter qu’elles tournent au conflit virulent, voire à la rupture, il importe de ne pas les mettre sous le tapis. Il faut les affronter, sinon attention à l’effet boomerang souvent plus dramatique.

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Un dialogue ouvert

S’entendre, ce n’est pas être d’accord sur tout, c’est être capable de faire avec la différence de l’autre et de faire respecter la sienne dans un dialogue ouvert. Le « bien vivre avec » l’autre ne s’institue pas seulement avec des bons sentiments, mais aussi avec des compromis indispensables de part et d’autre à négocier au cours d’affrontements qui peuvent être tendres.

Pour que cette recherche d’individualité, si chère à nos contemporains, ne se transforme pas en individualisme, il faudrait, à la fois mesurer ce à quoi nous devons renoncer pour respecter l’autre et ce à quoi nous ne devons pas renoncer pour nous respecter nous-mêmes. Et si se chamailler pouvait aider à mettre en œuvre une belle altérité ?

N.P.

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Extrait de l’hebdomadaire « La Vie » –

https://www.lavie.fr/idees/chroniques/peut-on-eviter-les-chamailleries-avec-ceux-quon-aime-94266.php

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