Par André SCHEER ;
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Si l’on veut rester fidèle à l’homme de Nazareth comme à son Annonce et à la haute conception qu’il se fait de la dignité de l’humain, il faudra bien, un jour ou l’autre (un siècle ou l’autre peut-être ?), réécrire la liturgie de la célébration eucharistique. Si, pour l’essentiel, Jésus s’est opposé à l’Alliance -contrat par les prêtres sous Esdras (en – 397) entre Dieu et le peuple juif pour le pardon des péchés – ainsi qu’au monde des sacrificateurs qui ont fini par avoir sa peau, il faudra bien présenter, un jour, ledit « Sacrifice Eucharistique » autrement !
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Jésus de Nazareth est justement mort parce qu’il a voulu la suppression des sacrifices et la libération du peuple de cette Alliance mortifère ! Il voulait mettre fin aux sacrifices, c’est-à-dire au rôle des sacrificateurs du Temple, donc à la mission et aux revenus des prêtres de Jérusalem.
Jésus et ses disciples allaient célébrer la Pâque, non à la date commune aux juifs de ce temps-là mais la veille, le jeudi-soir. Pourquoi ? Pour pouvoir, le lendemain vendredi soir où l’on égorgeait les agneaux, mettre en œuvre le plan préparé pour renverser le pouvoir des prêtres de Jérusalem et mettre fin aux sacrifices du temple.
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Jésus en avait assez de voir que cette nourriture de chaque jour, donnée à l’homme par Dieu en même temps que la vie, était confisquée par des prédateurs, et de plus, en son Nom ! Il rêvait d’en sortir les gens du peuple, de les sortir une fois pour toutes de cette servitude qui était celle du clergé de Jérusalem sur les ressources produites par les gens qui travaillaient.
Le projet de Jésus conduira, pour les disciples, à un changement si grand dans le judaïsme de son époque, qu’il était indispensable de s’organiser entre eux pour le gérer.
Le sang de l’Alliance, le sang du contrat entre l’homme et Dieu lui-même, entre les fils d’Israël et leur Dieu, « il est là », il est remplacé par le jus de la grappe de raisin, signe de la joie des hommes, des hommes désormais délivrés des extorsions des religieux qui vivaient sur l’exploitation de la bête jusqu’alors. Le jus de la grappe n’est en rien ‘le sang d’une nouvelle Alliance’ puisqu’avec Jésus, il n’y est plus question d’Alliance !
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Le sang de l’Alliance, ce fichu contrat dont Jésus ne veut absolument plus, remplacé par la coupe de vin et de joie à partager entre tous. N’est-ce pas formidable ?
Quelle honte alors de faire dire à Jésus de Nazareth (la veille de sa mort) :
– Qu’il allait payer de sa vie pour solder on ne sait quelle dette sur notre ardoise divine !
– Que l’Alliance, mot magnifique en français mais qui cache une réalité sordide, celle du contrat entre Dieu et les hommes que Jésus refusait de la façon la plus catégorique qui soit et qu’il voulait absolument mettre à bas. Alliance nouvelle qui scelle à jamais la culpabilité des hommes vis-à-vis du Dieu donateur généreux de la vie à l’humanité …
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Comment a-t-on fait pour en arriver à cela ? Et à le fossiliser dans un rite liturgique que les fidèles voient passivement, tous les dimanches au moins, sous la présidence d’un sacrificateur (ou prêtre si vous voulez) sur un autel (Mizbéakh en hébreu, c’est-à-dire un égorgeoir ; l’outil des sacrifices justement !).
La reprise en main des assemblées de disciples par des prêtres esséniens après la guerre avec Rome, dans le courant des années 80, permet seule d’expliquer ce retour en arrière à partir de de l’enseignement du maître de Nazareth.
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Alors, pourquoi ne pas rêver qu’un jour, une Église qui reprenne conscience de ses origines dans les Assemblées délibératives ne fasse désormais mémoire de la Vie et de l’Annonce de Jésus de Nazareth par la célébration d’un repas dans lequel le partage des ressources entre tous était si signifiant, si fondamental qu’il va incarner plus tard sa présence au milieu d’eux. Repas dans lequel ce partage disait tant sur le Don totalement gratuit de la Vie offerte par le Dieu vivant à tous les hommes. Comme le dit précisément le texte grec, c’est l’action de partager, et non le pain en lui-même dont on doit faire mémoire.
La personne et l’enseignement de Jésus ne nous paraitront jamais plus solides et universels qu’après avoir compris les contraintes et les motivations des auteurs qui nous en parlent, à leur manière, dans leurs écrits. Alors lisons-les sans être dupes de leurs intentions !
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André Scheer, bibliste et exégète laïc
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