par Jean-François Rouzières –
Le vendredi 13 octobre dernier, Dominique Bernard, professeur de lettres, a été assassiné et trois autres membres du personnel de son établissement scolaire ont été blessés. Si l’enquête est en cours, tout porte à penser que les événements s’inscrivent dans la logique du terrorisme islamiste qui frappe depuis quelques années le territoire français.
Je connais bien le lycée Gambetta à Arras, autrefois appelé « lycée de jeunes filles », ma mère y a fait toute sa carrière. Elle était professeur d’histoire. Elle est morte trop jeune, ce serait une charmante grand-mère de 84 ans aujourd’hui et je pense très fort à elle. À la passion qui l’animait. À ce métier qu’elle adorait. À cette volonté qu’elle avait de transmettre, d’éveiller, de donner à ses élèves toujours plus de connaissances, toujours plus d’esprit critique, toujours plus de liberté. Ce n’était pas facile de l’avoir à la maison car, finalement, les cours n’arrêtaient jamais. Mais je mesure la chance que j’ai eue de boire ses paroles et de vivre aujourd’hui parmi les livres, les miens mais aussi les siens, avec en héritage une curiosité intellectuelle toujours en éveil, une soif d’apprendre et un goût infini de la liberté. À travers elle, je remercie également tous mes profs, même ceux que je n’aimais pas : ils me permettaient de me confronter à moi-même. Et je pense à Dominique Bernard, qui s’est interposé pour sauver ses élèves, à son courage, à sa culture, à sa passion de la transmission, un homme admirable. Ma mère n’aurait pas baissé la tête face au terrorisme, je le sais. Elle m’aurait parlé de Jean Zay, de Jean Moulin, de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, de Léon Blum, qu’elle admirait tant. Enfant, je lui avais dit un jour : « C’est quand même horrible de mourir pendant la guerre, parce qu’alors on ne peut pas la raconter. » Elle m’avait répondu : « D’autres seront là pour raconter, ce qui est important c’est de se battre. » Aujourd’hui, elle aurait qualifié Mélenchon de crapule stalinienne et m’aurait expliqué comment un discours extrémiste préside toujours à la barbarie. Elle m’aurait dit de me méfier des religieux intégristes et de l’extrême droite ; ces gens aiment la mort, répétait-elle. Elle connaissait la violence des hommes et ne se faisait aucune illusion. Un matin, je la vis partir au lycée avec Charlie Hebdo sous le bras, pour expliquer la liberté de la presse et la liberté d’expression, m’avait-elle dit. Elle était joyeuse. Et je sais ce qu’elle me dirait : la liberté vaut et vaudra toujours qu’on se batte pour elle.
Jean-François Rouzières