L’ultralibéralisme

Par Michel Fontaine –

.

La faim dans le monde

A propos des élections

.

J’ai écrit les pages qui suivent en 2004 et, à première vue, cela peut ressembler à un coq à l’âne et on peut se demander où est le lien avec ce qui précède.

Il y en a un, soyez patients.

J’ai parlé de la destruction de la nature et de la faim dans le monde. Nous avons vu que les deux ont les mêmes racines. Que pouvons-nous faire ? Telle est maintenant la question.

En France, le vote n’est pas obligatoire. La moitié des gens ne votent plus.

Dimanche prochain en Belgique, ce sont les élections. (NDLR : prochaines élections en mai 2024)

Irons- nous à l’isoloir avec indifférence ? Irons-nous désabusés avec la pensée que cela ne sert quand même à rien ? Voterons-nous par intérêt …ou par conviction … ?

Peut- être cela vaut-il la peine de s’interroger car les choses ne sont plus si simples qu’au temps où il y avait la gauche et la droite. Aujourd’hui, Dieu a disparu des propositions électorales : il n’y a plus de parti dit ‘chrétien’. Devons-nous dès lors penser que le fait d’être chrétien n’a plus rien à voir avec ce qui se passe dans l’isoloir ? Avec ce qui se passe dans le monde ?

.

Que voyons-nous aujourd’hui ?


Deux phénomènes dominent l’actualité, la mondialisation et l’ultra­libéralisme économique.

L’ultra-libéralisme est une idéologie née des élucubrations de l’autrichien von Hayek émigré en 1932 en Angleterre puis aux USA où il a enseigné ses théories qu’on peut résumer comme ceci (extrait de “La pensée enchaînée de Susan George):

  • Les mécanismes de marché sont toujours préférables à la régulation et à l’intervention de l’État
  • L’entreprise privée est supérieure au secteur publique.
  • Il est normal et souhaitable que des activités de services comme les soins médicaux, l’éducation et la santé appartiennent au secteur marchand et génèrent des profits.
  • une fiscalité allégée surtout pour les riches garantira un investissement supérieur.
  • Le libre échange sera toujours plus avantageux pour l’ensemble de la population de n’importe quel pays par rapport au protectionnisme.
  • Les inégalités sont un fait intrinsèque à toute société et ont une origine génétique ou raciale.
  • Si certaines personnes sont pauvres c’est de leur faute car le travail est toujours récompensé.
  • Un budget élevé pour l’année est une garantie de sécurité nationale.
  • Enfin, cerise sur le gâteau: les Etats-Unis , en vertu de leur histoire, de leurs idéaux et de la supériorité de leur démocratie doivent utiliser leur puissance économique, politique et militaire pour intervenir dans les affaires des autres nations afin de promouvoir le libre marché et la démocratie.

L’ultra-libéralisme a trouvé ses plus fidèles alliés en Margaret Thatcher, les Reagan, père et fils et plus proche de nous le Bush père et fils. Mais Mr Barroso, Mr Sarkozy, Mr Berlusconi sont aussi des adeptes de cette idéologie et c’est elle qui domine aussi la Commission européenne. On voit ce que cela est en train de donner ».

.

La mondialisation est un phénomène dû essentiellement au progrès technique. Elle n’est en soi ni bonne ni mauvaise : elle est là tout simplement. A nous d’en tirer parti.

Il faut comprendre que la mondialisation est aujourd’hui pervertie par son mode de réalisation ultra-libérale.

L’ultra-libéralisme économique quant à lui est né aux Etats Unis pendant la dernière guerre mondiale, c’est à dire dans les années 40-45. La mondialisation lui a donné une fantastique impulsion et il domine aujourd’hui la planète sous la forme d’une pensée unique à laquelle il n’y aurait, soi-disant, pas d’alternative possible.

Globalement, l’ultra-libéralisme économique est l’exclusion du contrôle du citoyen, c’est à dire de l’état, sur l’économie. C’est le règne sans contrepartie de la libre entreprise. Pour cela, il faut ‘déréguler’ au maximum les lois élaborées par les états pour contrôler les marchés, supprimer les interventions des États dans les ‘services’ rendus aux citoyens, diminuer les pouvoirs des États pour les donner à des organismes comme l’Organisation Mondiale du commerce (OMC), le Fond Monétaire international (FMI), les banques centrales, les agences de notations qui décident des punitions imposées aux États.

Tous ces organismes ne sont pas dépendants des électeurs mais des ‘marchés’, mot paravent derrière lequel se cachent les multinationales qui, grâce aux différents ‘lobbies’ dominent effectivement le monde.

C’est ainsi que les services assurés par les États – les transports en commun, la poste, les soins de santé, l’enseignement – sont en train de devenir des entreprises commerciales privées sur lesquelles les États n’auront plus d’autorité et dont le but essentiel sera la rentabilité. Par conséquent, ils seront plus chers et ne seront plus accessibles qu’à ceux qui pourront les payer.

Les marchés en effet n’ont pas d’âme, pas de sentiments ; ils ne sont régis que par la loi du profit.

.

Ecoutons ce qu’en dit Jean Onimus dans son livre “Jésus en direct” (DDB 1999) :

“Donner, c’est ce qu’aucun marchand ne peut faire sous peine d’autodestruction. On comprend que Jésus ait horreur des marchands et des palabres à l’orientale où s’affrontent les rapacités : « Les acquéreurs de biens et les marchands ne trouveront pas de place auprès de mon Père » nous dit-il (Th 64). Ils sont esclaves du marché, et le marché est l’ultime présence des principes de la jungle. On a beau l’organiser, l’atténuer, le discipliner, il est foncièrement inhumain. Chasser les marchands du temple à coups de fouet est un geste fou qui vaudra à Jésus son arrestation fatale : le temple vivait de ce marché !

Le marchandage est inhumain parce qu’il exclut le sentiment. Une société marchande ne peut être qu’une société de compétition à outrance et de combats perpétuels où les tensions s’aiguisent à la limite de l’affrontement brutal, image atténuée mais exacte de ce que pourrait être l’enfer : un milieu où il est interdit d’aimer ! Rien de tel pour retarder la ‘désanimalisation’ des hommes et les maintenir dans les conditions archaïques du prédateur et de la victime au risque de rendre les gens de plus en plus étrangers à l’humain qui est en eux

.

Aujourd’hui, la loi qui nous est imposée par l’ultralibéralisme économique est la loi de la jungle : c’est toi ou c’est moi.

L’ultralibéralisme, c’est l’anti-sermon sur la montagne. C’est l’hymne à la possession, à l’écrasement du plus faible par le plus fort, au “bouge­ toi de là que je m’y mette”.

C’est la loi de la ‘concurrence libre et non faussée’ : il n’y a pas de place pour ta société et la mienne, pour toi et pour moi, ici et maintenant : un de nous deux doit disparaître, je dois te tuer.

C’est la loi des dérégulations : on ne veut plus d’entrave à cette orgie de guerre commerciale.

C’est la loi de la jungle, de la barbarie. Exactement le contraire de ce que Jésus nous propose. L’incivisme est l’expression de cet égoïsme actuel de la société.

Il est le résultat de l’addition de l’égoïsme et de l’individualisme : “les autres, j’en ai rien à cirer” !

Comme l’exprime bien l’étymologie du mot in-civisme, c’est une sorte d’indifférence totale qui exclut le sentiment d’appartenance à la communauté.

Dans ce contexte, faire quelque chose pour les autres devient une absurdité. Laisser traîner ses ordures ailleurs que dans son propre jardin ne cause plus aucun problème moral.

Les devoirs sont gommés, les droits non.

La pollution est le résultat direct de cette attitude profonde. L’indifférence des multinationales pour la société – le social – ou l’environnement, aussi.

.

Parfois, je ne sais comment affronter cela … je me sens trop fragile, démuni, pas de taille. J’ai alors envie de pratiquer la politique de l’autruche : me boucher les yeux et les oreilles pour ne pas voir, ne rien entendre …

Mais nous devons refuser ce monde. Nous devons – parce que nous sommes des hommes et des femmes, et non des bêtes – refuser cette loi de la jungle.

Ensemble.

Le royaume de Dieu commence ici et maintenant : il y a place pour toi et pour moi, ici et maintenant. Dès aujourd’hui. Voilà la bonne nouvelle dont je suis le dépositaire.

Et plus j’en serai persuadé, plus j’en serai l’artisan, plus mon action aura besoin de s’élargir, de s’étendre et de prendre une dimension nationale puis planétaire.

Mais il me faut commencer ici et maintenant, dans ma vie. Aujourd’hui.

Sans cela, tout le reste n’est que rhétorique.

La pensée unique prétend que la mondialisation néo-libérale profite à tous; or nous voyons que rarement l’argent a été aussi mal réparti qu’actuellement.

La pensée unique prétend que la globalisation des marchés unifie la planète, or nous voyons partout se reconstruire les murs, en dur ou en barbelés, et les frontières gardées pour protéger les biens des nantis et empêcher la libre circulation des pauvres.

.

La pensée unique prétend que la paix est garantie par le commerce mondial. Or nous voyons partout, les guerres, les occupations, les tyrannies, fondées sur la géopolitique, c’est à dire sur le vol des matières premières et des terres agricoles.

La pensée unique prétend qu’il n’y a pas de nourriture pour tous sur la planète. Or nous voyons que c’est la spéculation qui crée les famines et non le manque.

Une moitié de l’humanité – plutôt 20% – s’amuse et l’autre – 80% – crie “Pourquoi m’as-tu abandonné ?”

.

Dans quel camp sommes-nous?

“Pourquoi m’as-tu abandonné ?”. N’est-ce pas à nous que ce cri s’adresse?

Que faisons-nous pour que cela change ?

La bonne nouvelle est apportée aux pauvres” nous dit Jésus. Sommes-nous cette bonne nouvelle ?

Apportons-nous cette ‘bonne nouvelle’ aux pauvres ?

.

Est-ce que quelque chose a changé, pour eux, à cause de nous ?

Indignez-vous ! nous crie Stephane Hessel.

Non ! Il faut dire non ! Il faut nous mettre debout et dire non !

Il n’y a que nous qui avons ce pouvoir. Qui pourrait le faire à notre place ?

Qui peut dire ‘non’ à notre place ?

Qui peut – à notre place – prendre son temps pour ouvrir les bras à l’étranger, partager la solitude, accompagner le mourant, dire non au pouvoir de l’argent et à la lâcheté des États?

N’est-il pas grand temps d’arrêter de ne pas choisir?

Heureusement, tout espoir n’est pas perdu : à travers les forums sociaux, une société civile planétaire tente de s’opposer au libéralisme sauvage et se bat pour une autre mondialisation, une mondialisation plus juste et plus solidaire et qui serait maîtrisée par une gouvernance mondiale démocratique.

Un autre monde est possible” disent-ils.

.

Jésus n’était-il pas alter-mondialiste avant l’heure ? “Le Royaume est parmi vous “… est-ce tellement différent?

La Bible nous montre le peuple adorant le veau d’or, elle nous montre Jésus aux prises avec les tentations du pouvoir et de l’avoir au désert. Elle nous fait comprendre que l’avènement du Royaume de Dieu, ici et maintenant, passe par la libération de celui qui est emprisonné ou opprimé, par la nourriture pour celui qui a faim, par l’eau pour celui qui a soif, par la solidarité avec celui qui est exclu et par le partage de la nature avec nos enfants et les générations qui nous suivent.

.

Ivone Gebara, (“Le mal au féminin” chez l’Harmattan) nous parle du royaume en terme de salut, et de salut quotidien, ici et maintenant :

« Le salut semble être plutôt un mouvement de salut au milieu de l’insalubrité de l’existence, un moment de paix et de tendresse au milieu de la violence quotidienne, une belle musique qui apaise nos émotions, un roman qui nous tient compagnie, un verre de bière ou une tasse de café partagés avec quelqu’un et qui nous donnent envie de continuer à vivre. Le salut c’est un potager bien vert où des légumes ont enfin poussé après tant d’efforts.

Le salut, c’est un enfant arrivé après une longue attente ou une lettre d’amour qui fait revivre…

Le salut n’est pas au dehors mais il est là, mélangé à la souffrance : il est là où on ne croirait pas le trouver. Le salut est proche mais on le cherche souvent ailleurs comme s’il pouvait y avoir un événement extraordinaire qui briserait l’inexorabilité de certaines souffrances. Le salut, c’est aussi la mort quand la douleur devient insupportable ou quand le désir de vivre est perdu. Le salut n’est pas ‘une fois pour toutes’, mais une fois, puis une autre fois et encore mille autres fois.

Pour la plupart des gens, la question du salut est avant tout une question concrète, immédiate, liée à un manque concret, à une souffrance qui les atteint aujourd’hui, liée à un mal qui semble proliférer en ce moment-ci.

C’est à cause de cela qu’il est une expérience de résurrection aujourd’hui.

.

Mais revenons à nos moutons : les élections de dimanche prochain.

Il nous faut donc dépasser les petites réalités belgo-belges et bien nous rendre compte qu’il y a une vision marchande et une vision solidaire du monde.

Notre vote, dimanche prochain, profitera inéluctablement à l’une ou à l’autre.

Ici, sans aucun doute, être chrétien nous engage.

Maintenir la pression sur nos hommes politiques est certainement un engagement nécessaire et important. Ce n’est pas suffisant.

Les manifestations contre la finance que nous voyons un peu partout dans le monde sont de saines réactions. Et j’ai envie d’applaudir à tous ces gens qui osent afficher leur ras le bol et veulent faire changer ce système qui ne profite qu’aux riches. Bravo !

Les réseaux sociaux se constituent. Il semble qu’ils soient une alternative démocratique à la dictature économique. Avaaz par exemple compte aujourd’hui plus de dix millions de membres répartis dans tous Ies pays . Avaaz entre en campagne contre la mainmise des entreprises sur nos démocraties, contre la corruption politique et les subventions à l’industrie pétrolière, contre l’agro-business et les abus de l’industrie agro-alimentaire, elle se bat pour le désarmement mondial, pour l’égalité des sexes, pour la liberté de l’information et l’Internet libre, elle veut le désarmement mondial et l’éradication de la pauvreté, elle veut protéger les océans et la biodiversité …

Quel beau programme !

Se grouper et dire non est aussi à notre portée : voyez l’exemple de ces 300 prêtres autrichiens qui expriment ensemble leur refus de continuer d’obéir à une Eglise romaine qui leur demande de faire des choses avec lesquelles ils ne sont plus d’accord et qui s’expriment ainsi : “Le refus de Rome d’adopter des réformes depuis longtemps nécessaires et l’inaction des évêques ne permettent pas seulement mais exigent que nous suivions notre conscience et que nous agissions de manière autonome.”

.

Indignez-vous ! Exprimez-vous !

Nos choix de vie et de consommation sont, eux aussi, une manière de faire changer les choses pour un autre monde. Les groupes de ‘simplicité volontaire’ fleurissent un peu partout. Ils prônent la ‘sobriété heureuse’ (Pierre Rabbi- acte sud) comme art de vivre qui privilégie la richesse intérieure en opposition à la richesse tout court et à la surconsommation. Allez voir sur le net: ils s’organisent en réseaux. Bravo !

Consommer moins, vivre mieux et ensemble, partager plus, tout cela est à notre portée si nous le voulons vraiment . . . ici et maintenant, comme d’habitude.

.

Pour découvrir tous les extraits du livre de M. Fontaine, cliquer

.

Michel Fontaine

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *