Aujourd’hui, dans la plupart des familles de notre pays, les jeunes mangent à leur faim, fréquentent longuement l’école, participent régulièrement à des loisirs et pianotent naturellement sur leurs écrans … Leur vie, qui semble douce, est apparemment au moins délivrée des privations ou des lourdes servitudes de leurs aïeuls. Pourtant, « 80 % des troubles psy arrivent entre 15 et 30 ans » affirme David Gourion, psychiatre, et « ces 40 dernières années, le nombre de suicides a augmenté de 25 % ».
J’ai en effet constaté dans mon entourage avec beaucoup d’émoi que plusieurs jeunes se sentaient en profond mal-être psychique. Les parents et les éducateurs ont d’ailleurs souvent du mal à percevoir leurs difficultés pour pouvoir les aider. Les suicides de jeunes gens de milieux plutôt favorisés nous interpellent fortement. Des étudiants brillants, promis à un avenir professionnel garanti, et qui ont apparemment eu un parcours sans histoire, sombrent dans le désarroi. A la veille de porter des responsabilités d’adultes, ils ne parviennent pas à surmonter les épreuves qui les assaillent. Pourquoi ?
Je laisse au docteur Gourion le soin de développer dans son livre[1] tous ces phénomènes. Il y a des comportements qui devraient nous interpeller : il ne faut pas confondre en effet le mal-être « ordinaire » adolescent qui est temporaire et sans conséquence au quotidien avec des signes objectifs plus lourds : cassure scolaire, isolement social, repli sur soi, arrêt d’activités de loisir sans raison, troubles du sommeil … Troubles alimentaires, dépendance à l’alcool et au cannabis, attitudes anxieuses invalidantes, schizophrénie sont fréquents et plongent les jeunes dans un désarroi qui s’aggravent avec le temps. L’agrégation de facteurs comme les bouleversements socio-économiques, la modification des structures familiales et des réseaux de socialisation, la modification des rythmes biologiques veille-sommeil, le manque d’exposition à la lumière du jour, les changements alimentaires, la pression à la réussite jouent sans aucun doute un rôle important.
Je me permets seulement d’ajouter une simple énumération : Une enfance facile, sans contrainte sévère, avec peu d’obligations pour obtenir l’indispensable, c’est à dire l’alimentaire, l’habillement, les besoins courants … Des loisirs libres qui n’imposent pas de prévisions, pas de régularité et peu d’effort … Ou, au contraire, des études ou des loisirs trop exigeants, qui sollicitent une résistance à toute épreuve et une tension exacerbée pour franchir le seuil des concours ou dépasser ses propres capacités … Une confrontation à des chocs trop agressifs (d’ordre moral, affectif, sexuel) et perturbants pour des êtres non aguerris … Des écrans pervers avec pornographie et violence qui, le jour et souvent même le soir, envahissent les cerveaux en construction … Des drogues censurées mais banalisées comme le cannabis, ou médicamenteuses dès qu’un léger symptôme mesquin apparait … Des repas sans heure, avec un menu à la carte et le frigo à la disposition individuelle, des boissons gazéifiées, sucrées, alcoolisées … Des nuits sans sommeil …
Voici quelques pistes que l’on peut facilement soulever. Elles cernent certainement, partiellement au moins, les causes de ces drames que nous déplorons. Certains de ces constats dépendent de nous et nous pouvons essayer de les corriger, d’autres sont sociétaux et il vaut mieux en être conscient. Si nous ne savons les maitriser totalement, ils nous invitent de toute façon à revenir aux sources de l’équilibre humain et à nous appuyer davantage sur le bon sens traditionnel ; avec, comme le disait déjà Montaigne, au 16ème siècle, « une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine » mais aussi : Un corps respecté plutôt qu’un corps séducteur ou travesti … Un esprit ouvert plutôt qu’un esprit brillant ou superficiel … Un cœur sensible mais prudent plutôt qu’un cœur éponge …
Pascal JACQUOT
[1] La Fragilité psychique des jeunes adultes. 15-30 ans : prévenir, aider et accompagner de David Gourion, Odile Jacob, 24,90 €