Léon XIV et le pari de l’équilibre

Rudy Demotte –
Réflexion laïque sur un pape venu d’Amérique

La fumée blanche a parlé. Rome a un nouveau locataire. Et surprise : il vient de Chicago. Robert Francis Prevost, désormais Léon XIV, devient le tout premier pape à porter la bannière étoilée jusqu’au balcon de la basilique Saint-Pierre. La chose aurait pu prêter à sourire si l’époque n’était pas aussi inflammable. Car dans le contexte actuel, cette élection ne relève pas simplement du choix d’un pasteur pour les âmes catholiques. Elle sonne comme une détonation géopolitique.

Moi qui suis agnostique, laïque, attaché à la séparation des sphères, je pourrais observer cet événement avec une certaine distance. Mais ce serait une erreur. Car ce pape, aussi bien intentionné soit-il, n’est pas élu dans un vide. Il entre en fonction alors que les croisés de la droite identitaire brandissent à nouveau la foi comme une arme de guerre culturelle. Et devinez où cette croisade a pris racine ? À Washington, dans les salons des ultra-conservateurs catholiques qui rêvent d’un retour à l’ordre moral… à l’américaine.

Un parcours ancré dans le social

Je découvre que Robert Francis Prevost a vécu au Pérou pendant près de vingt ans. Il a accompagné des communautés rurales, dirigé un séminaire, parlé la langue des plus démunis. Son parcours est celui d’un homme de terrain, d’un homme d’Église attentif aux marges. Ce n’est pas une biographie de bureaucrate vaticanesque. C’est une trajectoire qui fait écho, chez moi, à ce que j’attends – même de loin – d’un pasteur : proximité, compassion, service.

En tant que progressiste, je ne peux qu’être touché par ce profil. Il me parle davantage que celui de prélats dorés à la moquette épaisse et à la morale inflexible. L’homme inspire confiance. Il mérite le bénéfice du doute. Et même davantage : une espérance vigilante.

Une position équilibrée sur les sujets de société

Sur les grandes questions sociétales – droits des personnes LGBT, avortement, famille – Léon XIV ne semble pas vouloir agiter le sabre ni bousculer la doctrine. Mais il ne vocifère pas non plus avec les tenants de l’exclusion. Il maintient une forme de neutralité, voire de retenue, qui peut être perçue comme une volonté de maintenir le dialogue ouvert. En ces temps de radicalité galopante, c’est déjà un acte politique en soi.

Là encore, ce n’est pas le camp que je défendrais si j’étais moi-même croyant et militant au sein de l’Église. Mais dans l’époque qui est la nôtre, cette posture modérée peut éviter le pire : la récupération, la stigmatisation, la radicalisation.

Les ombres portées de l’ultraconservatisme catholique américain

Car en parallèle, une autre dynamique est à l’œuvre. Discrète, méthodique, résolue. La dernière visite de J.D. Vance à Rome, quelques jours avant la mort du pape François, n’était pas un simple hommage de circonstance. Elle s’inscrit dans une entreprise idéologique de plus grande ampleur, menée depuis plusieurs années par les franges les plus conservatrices du catholicisme nord-américain.

À Napa (Californie), Steubenville (Ohio), Washington D.C. ou Dallas, ces réseaux – qu’il s’agisse du Napa Institute, de The Catholic University of America, de l’Ave Maria School of Law ou de groupes satellites de l’Opus Dei – s’activent avec une constance remarquable. Leur objectif est limpide : reprendre la main sur la doctrine, influencer les nominations, et faire basculer l’Église vers une lecture identitaire de la foi. Ils financent des universités, tissent des liens avec certains milieux romains, entretiennent des relais jusque dans les jardins du Vatican.

Ce courant ne s’embarrasse pas de nuances : il fustige « l’Église woke », dénonce la fraternité universelle comme naïveté, et rêve d’une Église redevenue bastion de l’Occident, verrouillée sur ses dogmes, alignée sur un ordre moral viriliste. Il ne s’agit plus d’évangélisation, mais de reconquête culturelle. Et dans cette optique, un pape né aux États-Unis – même modéré, même social – peut devenir, malgré lui, un instrument symbolique. Un drapeau planté sur la colline du monde. À Léon XIV de rappeler, avec fermeté et clarté, que l’Église universelle n’est pas un satellite de Washington.

L’enthousiasme intéressé de Donald Trump

La réaction de Donald Trump à l’élection de Léon XIV n’a pas tardé. Depuis son bunker numérique, il s’est fendu d’un message sur Truth Social :

« Quelle excitation, et quel grand honneur pour notre pays. J’ai hâte de rencontrer le pape Léon XIV. Ce sera un moment très significatif ! »

On s’en doutait : le Vatican a beau être un État souverain, lorsqu’un Américain y est élu pape, Donald Trump considère que c’est un peu comme acheter une filiale religieuse à l’étranger. Une sorte de prise de participation spirituelle. Reste à espérer qu’il ne réclamera pas de droits de douane sur l’exportation de miséricorde vers les États-Unis, ni de quotas sur la fraternité. Car connaissant sa conception du commerce équitable, il ne serait pas étonnant qu’il demande au pape de « rendre la pareille »… en bénissant quelques pipelines ou en déclarant Jérusalem capitale du Texas.

Une Église entre universalité et tentations identitaires

Le défi, pour Léon XIV, est immense. Il devra tenir la barre d’une Église fracturée entre ses forces centripètes : celle du service et du soin, et celle du dogme comme arme. Il devra préserver l’universalité catholique face aux tentations identitaires de certains clergés, notamment nord-américains, qui rêvent d’un retour à une Église de commandement.

Il est, à cette heure, l’homme d’un compromis. Ce n’est pas une faute. Mais dans un monde saturé de récits, il lui faudra rapidement donner chair à ce compromis, pour ne pas devenir l’instrument d’un récit qui n’est pas le sien.

Ce que je ressens : pas un espoir aveugle, mais un pari lucide

Léon XIV n’est pas un cheval de Troie de l’alt-right » (2) en soutane. Il n’est pas non plus, pour l’instant, une figure révolutionnaire dans la lignée de Jean XXIII ou de François. Il est un homme d’équilibre, et peut-être est-ce justement ce qu’il fallait à l’Église aujourd’hui : ni fracas, ni recul, mais une main tendue, ferme et calme.
Alors, mon espoir ?
En tant que laïque, je ne me prononce pas sur ce que devrait être la fidélité à l’Évangile. Ce n’est pas mon terrain. Mais je peux, en citoyen engagé, espérer qu’un pape — en particulier celui qui vient d’être élu — choisisse de faire vivre ce que l’Église peut encore incarner d’universel : la justice sociale, l’écoute des oubliés, la dignité humaine face aux logiques de rejet.

Le parcours de Léon XIV, entre Chicago et le Pérou, entre rigueur et service, m’invite à croire qu’il portera cette exigence. Et s’il parvient à tenir bon, à ne pas se laisser aspirer par les vents idéologiques qui soufflent sur l’institution, alors peut-être deviendra-t-il ce que son nom laissait entrevoir : un artisan de lien.

Un pape venu du Nord, oui — mais qui, au Sud comme ailleurs, pourrait écrire une page nouvelle. Non pas pour imposer, mais pour rassembler. Non pas pour convertir, mais pour faire entendre, à nouveau, la voix de l’humain.

Un Homme qui investi d’une influence morale importante, fera tomber les murs. Bâtira des ponts.

Alors, peut-être même qu’en ces temps troublés, il sera celui qui rappelle que la force d’une institution spirituelle ne se mesure ni à son autorité ni à son prestige, mais à sa capacité à révéler la valeur cardinale de la bienveillance humaniste. Partout. Dans la liberté, l’égalité, et la fraternité universelle.

Rudy Demotte, mai 2025
Peintures art péruvien

1- Source Wikipedia. / Retour au texte
2- L’Alt-Right, ou “droite alternative”, désigne un courant radical né aux États-Unis qui mêle nationalisme identitaire, rejet du progressisme, culte de l’autorité et, chez certains catholiques, aspiration à une Église autoritaire, masculine et hiérarchisée, opposée à l’héritage du pape François. / Retour au texte

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