Légaliser l’euthanasie

Légaliser l’euthanasie, est-ce une folie pour une démocratie ? par Jacques Musset –

Certes, le médecin Dallaporta admet qu’existent des situations extrêmes où des médecins pratiquent l’euthanasie et en assument la responsabilité, mais, pour lui, inscrire la possibilité de l’euthanasie dans la loi est une folie, au même titre, dit-il, que les lois raciales et les lois eugéniques promulguées par les nazis ! Quelles raisons le médecin et la psychiatre invoquent-ils pour s’opposer à une telle législation ? Selon eux, ce serait la porte ouverte pour se débarrasser à bon compte – y compris financier – des malades, des gens âgés et vulnérables ; ce serait un manque total de respect pour les personnes fragiles ; ce serait tourner gravement le dos aux valeurs du soin ; ce serait attenter à la cohésion de la société et favoriser sa dislocation. Pour eux, l’alternative à une loi sur l’aide à mourir, telle qu’elle s’est dessinée durant la législature précédente et qui va revenir au Parlement en janvier 2025, ce sont les soins palliatifs qui, en luttant contre la douleur, en accompagnant le malade par l’écoute, assureraient à tous les bénéficiaires une fin de vie convenable et acceptable.

Cette position est-elle indiscutable pour qui professe la valeur des droits de l’homme ?

Ne pas la partager serait-il le fait d’une erreur de jugement, d’un manque d’humanité, de penchants eugéniques ? J’essaie de sortir du piège qui consiste à considérer qu’une loi ouvrant un droit à l’euthanasie serait une infamie aux graves répercussions civilisationnelles. Voici quelques considérations qui m’inspirent. D’abord cette question. Chaque humain a-t-il le droit de mettre fin ou de demander qu’on mette fin à sa propre vie lorsqu’il est dans des conditions d’existence inacceptables par lui ?

L’un des postulats de nos auteurs, c’est que la mort ne peut être que naturelle avec l’arrêt du cœur et des grandes fonctions corporelles (c’est la position des religions). Ce postulat ne fait plus l’unanimité des citoyens de nos sociétés occidentales du fait que bien des consciences se sont affranchies des tutelles cléricales. D’autant plus que l’identification de la vie humaine avec l’exercice de ces grandes fonctions ne rend pas compte de ce qu’est une vie vraiment humaine, à savoir une autonomie de penser, de décider, d’établir des relations. C’est ce qu’expriment fort justement bien des gens qui ont perdu ces facultés et qui s’écrient : « Mais ce n’est pas une vie, je ne souhaite pas la poursuivre telle quelle ». N’est-ce pas du vécu de ces personnes qu’il faut partir pour admettre qu’elles peuvent avoir le droit légitime d’être aidées à quitter cette vie qui n’a plus de sens pour elles ?

Un pays démocratique, incluant des citoyens aux conceptions différentes de la vie humaine, l’est-il vraiment s’il refuse à certains de ses citoyens qu’on les aide à mettre fin à leur vie lorsqu’elle est pour eux invivable et inacceptable ?

Accepter en fermant les yeux, comme le fait le Docteur Dallaporta, que les médecins soient seuls juges pour exceptionnellement pratiquer ou non l’euthanasie de leurs clients, n’est-ce pas une fausse voire injuste solution, puisque le passage à l’acte dépend de la décision du médecin et se pratique dans l’anonymat ? On ne résout pas ce genre de situation au cas par cas en fonction de ce que pense le médecin. Elle ne peut se résoudre d’une manière juste que par la législation, comme on l’a fait dans notre pays pour le divorce, la contraception, l’avortement, le mariage pour tous. Aujourd’hui, une législation s’impose dans chaque pays pour respecter les désirs légitimes d’une partie de ses citoyens.

Selon quelles conditions, un pays démocratique peut-il reconnaître le droit à l’euthanasie ?

Si l’on regarde la législation d’un pays comme la Belgique qui admet la pratique de l’euthanasie depuis des années, laquelle est admise socialement et ne bouleverse pas la vie commune entre les Belges, on constate qu’elle est subordonnée à des conditions strictes pour éviter les dérives ; et si elle connaît des évolutions c’est aussi d’une manière réfléchie démocratiquement et très encadrée. Bien des détracteurs de l’euthanasie ignorent cette législation belge et, pour asseoir leurs conceptions, s’en tiennent aux mensonges qui se répandent. Pour ma part, je suis de ceux qui se réjouissent que la loi de l’aide à mourir revienne à l’étude au Parlement en janvier. Avec eux, je souhaite que, de très restrictive où en est la rédaction actuelle du fait du poids des lobbys religieux et médicaux, elle considère comme primordiale la volonté dûment exprimée de la personne non seulement pour qu’on l’aide à mourir mais pour qu’elle puisse choisir le moment de sa mort.

Cette conception de l’aide à mourir par euthanasie peut-elle être considérée comme un soin et est-elle cohérente avec les soins palliatifs ?

Je réponds oui si l’on entend le soin comme l’accompagnement ajusté àla volonté de la personne malade ou en fin de vie. J’ajoute que ma position actuelle est le résultat d’une évolution. Il y a quarante ans, je partageais celle des auteurs de l’article de Parvis. Puis, durant une douzaine d’années (1985-1997) j’ai été en milieu hospitalier formateur de soignants à l’accompagnement des personnes en fin de vie. C’est en écoutant les aides-soignantes et les infirmières raconter les situations difficiles auxquelles elles étaient confrontées, en étant moi-même témoin de ces situations dans ma famille, et en lisant des réflexions à ce sujet que j’ai réfléchi. J’ai abandonné une position idéologique pour en rejoindre une autre fondée sur une conception de l’homme libre de ses décisions et une conception des soins respectueuse de ses choix concernant sa fin de vie et sa façon de mourir.

Jacques Musset

P.S. : Article extrait de la revue des réseaux des Parvis, janvier -février 2025 ; Le réseau des Parvis est une fédération d’une trentaine de groupes chrétiens, plus ou moins en lien avec l’Église catholique.

https://www.reseaux-parvis.fr/

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