La vie est certainement notre meilleure école. Les épreuves que nous rencontrons en sont de véritables examens ! Mais si nous avons toute la vie pour apprendre, l’apprentissage de nos premières années et notre formation initiale sont essentiels pour donner vraiment le goût et le plaisir de continuer à découvrir pendant toute notre vie.
Malgré l’éducation exigeante, rude et rigoureuse qui fut mienne, je n’envie nullement les écoliers actuels, ni les libertés, ni les facilités qui leur sont offertes. Car la vie qui peut être une aventure riche est loin d’être simple et elle se présente aujourd’hui avec plus d’embuches qu’hier. Si les jeunes ne sont en général plus préoccupés par la faim, le froid ou le gîte, ils sont par contre livrés à des difficultés nouvelles dans un cadre beaucoup plus pervers. Pour deviner le cadre éducatif actuel, il suffit d’évoquer la puissance des écrans, la critique facile de l’autorité, les infox (ou fake news), les autonomies trop rapides ou mal contrôlées, les dus requis et les contraintes peu acceptées, le cynisme du dominant qui devient valeur, le culte de la réussite par l’argent, par l’image (beauté, force) … Aussi, les années scolaires offrent-elles à tous les élèves une étape fondamentale non seulement pour acquérir un savoir, mais aussi pour se forger des réflexes avec une lucidité et une volonté à surmonter les contraintes futures.
Il me semble qu’en plus du climat de sérénité, d’ouverture, de confiance nécessaire dans le cadre de toutes les écoles, en plus des matières traditionnelles, français, maths, langues, arts plastiques, EPS …, en plus des apprentissages à l’hygiène, au code la route, au numérique, une formation de type méditation laïque ou communication verbale serait la bienvenue pour entrer profondément en contact avec soi-même et retrouver du discernement, pour améliorer la connaissance de ce qui se passe, pour apprendre à ‘écouter’ vraiment, pour permettre le libre-partage et la fraternité dans la liberté de conscience. Sous quelles formes, par quels éducateurs, cela doit être étudié. Dans le tourbillon de la vie, pour surmonter les épreuves inévitables, pour prévenir les pièges nombreux et souvent perfides, ‘écouter’ son corps, ‘écouter’ ses besoins, ses capacités, ses aspirations profondes, ‘écouter’ l’autre, son voisin, l’étranger, blanc ou black, ‘écouter’ la richesse de la diversité et de la différence ne peut être facultatif mais est indispensable. Et est encore bien plus nécessaire aujourd’hui qu’hier car les valeurs d’entraide, de solidarité, de confiance sont beaucoup moins spontanées dans le monde plus permissif, ouvert et moins contraignant qui est le nôtre maintenant que dans le contexte éducatif autoritaire, assez rigide et fermé d’autrefois (à dominance rurale d’ailleurs).
Mon itinéraire personnel illustre les conditions de l’ascenseur social dont j’ai bénéficié. Je suis né pendant la 2ème guerre mondiale dans un petit village lorrain. A quatre ans et demi, à l’arrivée des américains dans la région, j’ai subi avec ma famille l’évacuation sur un chariot pour fuir les combats. A huit ans et pendant un an de ma scolarité, je me suis rendu chaque jour à pied avec la musette au dos à l’école du village voisin où je faisais réchauffer mon repas de midi sur le poêle. A douze ans, dès mon entrée dans le secondaire, je rejoignais seul à 50 km de la maison familiale, avec deux trains et un autobus, l’internat que je ne pouvais quitter qu’une fois par trimestre, où j’emportais quelques vivres pour améliorer un peu le déjeuner et le goûter … et où, après un lever à 6 heures, les cours et études se succédaient jusqu’à 21 heures, tous les jours sauf le jeudi après-midi et le dimanche …
De nos jours, des dispositions matérielles plus séduisantes dissimulent quantité de leurres qui aggravent le tourbillon de la vie. L’obligation scolaire qui est une chance donnée à tous n’est plus appréciée, l’exemplarité familiale est plus diversifiée et les outils relationnels avec le numérique notamment sont souvent plus amoraux. Les déplacements multipliés, l’exigence de ses droits et la négligence de ses devoirs, le besoin de confort et de changement ne facilitent pas la pondération et le souci de l’autre. Aussi, connaitre quelques règles du vivre ensemble, apprendre à communiquer par-delà les mots, analyser les bases psychologiques de l’élan ou échange amoureux, respecter son corps et l’intégrité de l’autre ne peut plus être facultatif et devrait être découvert moins dans l’improvisation entre copains, dans la recherche inappropriée par internet, dans l’expérimentation hasardeuse qu’avec des analyses étayées, sérieuses et approfondies présentées par des professionnels … Ce qui est déjà offert à des gamins de familles privilégiées hors du temps scolaire, ce que de nombreux stages de formation personnelle m’ont permis d’apprécier trop tardivement doit être proposé à toute la jeunesse pour qu’elle puisse appréhender assurément la vie avec tous ses pièges. C’est en tout cas mon souhait et c’est celui de beaucoup de parents confrontés avec leurs enfants à des problèmes qui leur échappent. C’est surtout l’espoir que l’école facilite davantage la mise en place de ces échanges attendus par beaucoup de jeunes et leurs responsables.
Pascal JACQUOT