La papauté a-t-elle du sens dans son état actuel ?

À l’heure où les cardinaux se rassemblent à Rome pour élire un nouveau pape, est-ce une question taboue que de se demander si la papauté, qui dispose aujourd’hui d’un pouvoir absolu sur toute l’Église catholique, a encore du sens au milieu des démocraties où les règles sont le débat et la pratique de processus électoraux ?

Nous, les auteurs de cette tribune, sommes des catholiques peu à l’aise dans leur Église mais qui ne veulent pas abdiquer leur liberté de pensée. Nous souhaitons que le catholicisme, enkysté dans de vieilles traditions, fasse le ménage. La question actuelle que pose l’actualité est de s’interroger : la papauté romaine, telle qu’elle est définie et se pratique, est-elle de nature à aider l’Évangile à s’actualiser dans les différentes cultures où vivent des disciples de Jésus ? Ou bien est-elle un obstacle ? Nous pensons que reproduire le modèle de papauté tel que nous le connaissons depuis des lustres, détenant un pouvoir absolu en tout et sur tout, continuera d’être préjudiciable, en maintenant les catholiques dans la soumission, en empêchant le débat sur les sujets cruciaux, en décourageant maints croyants professant une foi personnelle et réfléchie.

Dans le cas du pontificat de François, on peut mettre à son crédit ses positions sociales sur l’accueil des migrants, son souci des pauvres et de la sauvegarde de la nature. En ce sens, il a témoigné réellement du cœur de l’Évangile. En revanche, on peut vérifier que, dans l’exercice même de sa fonction papale, il s’est laissé aller à prendre des décisions autoritaires en raison de son pouvoir absolu, sans égard pour l’avis des personnes ou des groupes concernés.

Ainsi lors du synode des Églises des régions équatoriennes en 2019, alors que la majorité des participants, évêques, prêtres, laïcs souhaitait que l’on ordonne prêtres des hommes mariés du cru pour pouvoir célébrer l’eucharistie dans les communautés isolés, François a répondu par la négative sans aucune explication. Comment comprendre une telle décision imposée arbitrairement ? Dans la lignée de ses prédécesseurs, Il a en fait cantonné les synodes à un rôle purement consultatif, sans aucun pouvoir délibératif. Une synodalité simplement consultative est une parodie de synodalité. Cette dernière veut dire discuter et prendre ensemble des décisions. De même, les mises en garde de François à l’égard des instances de l’Église catholique allemande, réunissant évêques, prêtres et laïcs pour ouvrir des voies en vue de repenser la foi dans la culture moderne et de faciliter l’accession des laïcs à tous les ministères, ont été vécues comme humiliantes.

Lors d’un voyage en Belgique en septembre 2024, François, sans prendre la mesure du vécu des Belges sur les questions d’éthique, a heurté nombre d’entre-deux en faisant des déclarations péremptoires. Il s’est ainsi opposé à la pratique des avortements, sans souci des situations singulières qui peuvent la justifier. De même il est parti en guerre contre l’euthanasie instituée légalement en Belgique depuis des années, où elle donne satisfaction. Il a même désigné le personnel médical accompagnant les IVG de « tueurs à gages », comme il qualifiera quelques semaines plus tard Kamala Harris de « tueuse de bébés », pour s’être engagée en pleine campagne électorale américaine à défendre la loi sur le sujet, décourageant peut-être ainsi nombre de catholiques américains de voter pour elle.  Sa manière brutale de réagir a tellement scandalisé ses auditeurs belges que les organisateurs des rencontres ont protesté contre ces jugements abrupts. Une belle audace, encore rare dans l’opinion catholique.

Par ailleurs, on peut noter que François s’est refusé à changer quoi que ce soit dans l’expression de la foi catholique élaborée aux IVe et Ve siècles lors des premiers conciles, laquelle n’a plus de crédibilité pour nombre de chrétiens et de non-chrétiens. Ces conciles ont défini la divinité de Jésus et la Trinité divine à partir d’une lecture littérale des évangiles et dans les représentations préscientifiques de l’époque. Qui comprend aujourd’hui le langage du credo du concile de Nicée ?  En fait François ne semble pas s’être aperçu que, pour bien des chrétiens modernes, les vieilles expressions de la foi n’ont plus de sens.

De la même manière, il n’a rien changé à l’éthique chrétienne traditionnelle. S’il a dit un jour : « Qui suis-je pour condamner un homosexuel » et s’il a eu le courage de permettre de bénir les union homosexuelles, il n’a pas fait réécrire le passage du Catéchisme de l’Église catholique de Jean-Paul II sur les relations homosexuelles, considérées toujours comme un grave désordre.

Ces quelques exemples que l’on pourrait multiplier manifestent les méfaits de l’autoritarisme papal. Tous ceux qui ont été papes avant François ont agi de même, en prétextant qu’ils tenaient leur charge de Dieu. On se rend compte que ce pouvoir absolu n’est pas un atout pour stimuler la créativité et l’inventivité, mais constitue plutôt un puissant verrou. Cette contradiction risque de rester en place avec le prochain pape, si on ne réforme pas radicalement la papauté, en abolissant ses pouvoirs absolus. C’est bien là un enjeu d’avenir pour l’Église catholique, mais aussi pour les autres confessions chrétiennes.

En écrivant ces lignes, nous n’avons pas la prétention d’influer sur les électeurs du prochain pape, qui se verra revêtu des mêmes prérogatives absolues que ses prédécesseurs. Nous ambitionnons seulement, avec cette tribune et aussi le petit livre que nous venons de publier, intitulé Réformer ou abolir la papauté. Un enjeu d’avenir pour l’Église catholique, d’interroger les consciences[1].

Robert Ageneau, José Arregi, Gilles Castelnau[2], Paul Fleuret et Jacques Musset.


[1].    Réformer ou abolir la papauté. Un enjeu d’avenir pour l’Église catholique, Karthala, coll. Sens et Conscience, Paris,  mars 2025, 162 p., 20 €.

[2].    Gilles Castelnau est protestant et ami de l’Église catholique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *