D. Sarrassat présente l’homélie qu’il a prononcée lors des obsèques d’un proche :
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Parce que nous ne la voyions jamais malade, nous ne l’entendions jamais se plaindre, dans la famille, nous avions pensé qu’A. serait centenaire, comme sa maman. Pourtant, nous connaissions cette phrase d’évangile : « Veillez, vous ne connaissez ni le jour, ni l’heure. » Alors lundi, après que l’heure d’A soit venue, son mari G. et ses enfants ont veillé et partagé autour de ce texte des disciples d’Emmaüs.
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Comme ces hommes, et ça pourrait être des femmes, qui marchent vers le village d’Emmaüs, nous étions désemparés mais comme eux nous n’étions pas seuls, chacun dans notre coin à ruminer notre peine.
Ce sont les autres qui nous font réaliser, découvrir, comprendre les choses.
Lire les écritures et relire les évènements vécus à leur lumière, c’est ce que A. et G. ont fait durant leur vie, ce qu’ils ont aussi transmis d’une certaine manière à leurs enfants.
Cette notion du partage, de la rencontre, est essentielle pour chacun d’entre nous. Qu’on soit croyant ou pas. Parmi les enfants d’A. et G., certains le sont, d’autres pas. C’est pourquoi aussi, fort de nos différences, ce texte ne nous a pas parlé de la même manière.
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Dans le texte que vient de nous lire Annie, à un moment donné l’évangéliste Luc, le seul à évoquer cette histoire met dans la bouche de Jésus, l’inconnu que les 2 marcheurs ne reconnaissent pas, ces mots « Vous ne comprenez donc rien ». Lorsque nous avons partagé en famille sur ce texte, nous avions une autre traduction qui disait « Esprits sans intelligences ». Cette phrase nous a fait réagir :
« Esprits sans intelligence » ou « Vous ne comprenez donc rien », on pourrait traduire aujourd’hui par « bande d’imbéciles ». Ces mots auraient-ils été prononcés par Jésus ? Ça ne nous semblait pas très gentil de la part de Jésus mais quelle que soit la traduction, ce n’est guère mieux. Était-ce bien Jésus ressuscité qui se manifestait ainsi ?
Pourquoi pas, puisqu’il prend le temps ensuite de leur expliquer en évoquant Moïse et les prophètes. Explique-t-on quelque chose à quelqu’un si on ne le juge pas assez intelligent pour comprendre ?
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Croire ou pas ? Dans notre réflexion sur ce texte, on s’est dit aussi qu’on n’avait pas besoin de croire que ce soit forcément Jésus lui-même qui rencontre ces marcheurs désemparés, ça peut aussi bien être un anonyme qui a compris, lui, que Jésus se révèle par l’autre.
Dieu qui se révèle par l’autre, n’est-ce pas aussi ce qui unit tous les croyants du monothéisme, qu’on soit chrétien, juif ou musulman ?
Et si nous ne croyons pas, on peut faire nôtre cette phrase des disciples : « Reste avec nous ». On traduirait aujourd’hui par « Entre, viens prendre un café », A. disait, « une Ric, une Ricoré, parlons un peu, raconte-moi ».
La rencontre, le partage, toujours.
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A. n’est plus là.
Que nous la croyions ressuscitée, vivante autrement ou pas, que la foi nous soit utile ou pas, la peine et la douleur de la séparation restent.
Pour G., pour ses enfants, pour tous ceux qu’A. a aimés, pour tous ceux qui ont connu la mort d’un proche, un deuil reste un chagrin d’amour.
Mais l’homme qui croise les deux marcheurs vers Emmaüs ne nous suggère-t-il pas aussi que par-delà les promesses aux mourants, nous devons avant tout soigner les souffrances des vivants ?
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Bientôt le printemps va venir. A. aurait replanté dans son jardin.
Dans la vie comme au potager, on ne replante pas sur du malheur, on replante en remplaçant les mauvaises herbes par les bonnes, les larmes par les sourires, sans pour autant oublier ceux qui sont partis.
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Février 2023 –
Didier Sarrassat