par Michel Théron
.
Elle a des règles bien étranges, comme les situations auxquelles elle donne lieu. Ainsi entend-on d’une part qu’à cause du réchauffement climatique il convient d’adopter un mode de vie plus sobre, moins axé sur la consommation. Mais d’autre part que cette résolution, pourtant vertueuse, a l’inconvénient de peser sur la croissance économique et engendre un manque à gagner pour l’État, dont les finances sont impactées du fait de la diminution des taxes générées par la consommation (la TVA par exemple). L’État est donc amené à tenir aux citoyens un double langage : ils doivent à la fois moins consommer pour agir sur le climat, et plus consommer pour conforter l’économie. Ces injonctions contradictoires, ce grand écart, ont de quoi désorienter.
.
D’autant que la crise climatique a été causée par une économie dérégulée, qui au nom de la création toujours plus grande de richesses, avec une ambition infinie a mis en coupe réglée une planète dont les ressources sont finies, comme on le voit tragiquement aujourd’hui. Pourquoi se cramponner encore aux règles d’une économie de la croissance, qui n’est pas la solution du problème que nous connaissons, tout simplement parce qu’elle en est la cause ?
.
Mais beaucoup s’attachent encore aux vieux schémas et aux vieilles croyances. Aujourd’hui par exemple, comme la situation géopolitique a changé, certains spécialistes se demandent si l’investissement dans la défense et l’armement ne serait pas maintenant l’avenir de notre économie. Et de fait les industries de ce secteur croulent sous les commandes, et leurs valorisations en Bourse explosent. On se rattache à ce qu’on peut : les armes de mort peuvent remplacer l’atonie des consommateurs. Je gage qu’après toutes les destructions guerrières que nous voyons, ce seront les industriels du bâtiment qui se frotteront les mains pour les reconstructions. De toute façon casser donne du travail, et il faut bien que l’économie fonctionne…
.
Il est temps pourtant de mettre un frein à cette course au profit, à cette fuite en avant. D’introduire ici une morale et de mettre enfin l’homme au centre du système, et non pas des lois d’airain inflexibles sans rapport avec sa vie. Pensons au message désaliénant de tel prophète humaniste : « Le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat. » Ne devons-nous pas dire aussi : L’économie est faite pour l’homme et non pas l’homme pour l’économie ?
M.T.
https://www.michel-theron.fr/2024/04/economie.html
.
-=-=-=-=-=-
Croissance
Dans mon billet Économie (ci-dessus ), j’ai indiqué qu’elle n’est pas la solution pour remédier au réchauffement climatique, pour la simple raison qu’elle en est la cause. Pourtant on m’a fait remarquer à juste titre qu’on pouvait la faire servir à un but positif : accompagner une transition écologique. Et de fait l’isolation thermique des maisons, l’amélioration des différentes techniques permettant de moins gaspiller l’énergie, permettaient la création de beaucoup d’emplois, pour le bien-être de tous.
Je viens d’employer l’imparfait, car ce « sauvetage » vertueux de la croissance dans un scénario vert est loin d’être maintenant d’actualité. On a appris par exemple que l’argent du nouveau package d’aide américaine offert à l’Ukraine servirait à alimenter les commandes de matériel militaire aux industries américaines. Il semble que c’était la condition mise par Trump pour accepter la transaction : l’offre est donc moins désintéressée qu’il n’y paraît, le gouvernement reprenant d’une main ce qu’il donne de l’autre.
Ceux qui attendaient la relance de la croissance par la transition écologique ont donc de quoi déchanter : on a finalement la relance par l’armement. Et la tendance est générale. Cette hausse des dépenses militaires (une hausse de 7%, la plus forte en 15 ans) concerne évidemment l’Europe du fait de la guerre en Ukraine. Mais pas seulement. On observe la même tendance dans toutes les zones géographiques du fait des tensions au Moyen-Orient mais aussi des craintes concernant la Chine en Asie. Exit la croissance verte ! La nouvelle croissance est rouge sang.
Et non seulement elle la remplace, mais encore elle détruit radicalement l’espérance qu’elle pouvait porter. On sait assez les catastrophes écologiques que causent les guerres. Destructions sans nombre, pollution des sols et des cours d’eaux, dégâts divers sans fin prévisibles et même souvent irréversibles. Le résultat est un gigantesque bond en arrière pour notre planète et notre humanité. Désormais il n’est rien que la mort n’affecte. Après l’anthropocène, le « thanatocène » …
Européens, nous payons ici les dividendes de la paix dont nous avons profité depuis la fin de la guerre froide, nous imaginant qu’ils seraient éternels. Notre aveuglement, notre angélisme et notre naïveté nous ont fait vivre bien longtemps au pays des Bisounours. Après avoir détruit la planète par la surexploitation, voici que maintenant nous allons la perdre par la destruction.
.
Michel Théron