On a souvent l’habitude de cataloguer les personnes, de cloisonner les groupes et parfois même de les opposer. Il me semble que les différences apparentes sont artificielles et que les oppositions sont beaucoup plus subtiles que ce que l’on veut laisser croire. En ce qui concerne les convictions spirituelles, cela est manifeste.
Entre un croyant et un athée, entre un chrétien et un agnostique, entre un catholique et un matérialiste, il y a parfois beaucoup plus de proximité et de croyances communes qu’entre deux croyants, deux chrétiens, deux catholiques qui se croient proches par l’étiquette mais conçoivent en réalité un Dieu complètement différent. En effet il y a des catholiques qui ne croient guère aux “miracles” de Jésus, des chrétiens qui ne croient guère en la résurrection de Jésus. Et beaucoup de militants, même athées, des droits de l’homme se sentent très proches de Jésus. Sa vie, son témoignage touchent et éclairent en effet de nombreux hommes, croyants ou incroyants, bien au-delà des sphères religieuses. Ainsi le philosophe André Comte-Sponville[1] qui se déclare athée, écrit :
« Le nouveau-né qu’on couche dans une étable, l’enfant pourchassé, l’adolescent dialoguant avec les érudits, le même plus tard, face aux marchands du temple, la primauté de l’amour, à quoi se ramènent “toute la Loi et les prophètes”, le sabbat qui est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat, l’acceptation ou l’anticipation de la laïcité (“Rendez à César ce qui est à César… “), le sens de l’universel humain (“Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait” ), l’ouverture au présent (“Prenez soin d’aujourd’hui, demain prendra soin de lui-même”), la liberté de l’esprit (“la vérité fera de vous des hommes libres”), la parabole du Bon Samaritain, celle du Jeune homme riche, celle de l’enfant prodigue, l’épisode de la femme adultère, l’accueil des bannis et des prostituées, le sermon sur la montagne (“heureux les doux, heureux les affamés de justice, heureux les artisans de paix… “), la solitude (par exemple au Mont des Oliviers), le courage, l’humiliation, la crucifixion… On serait touché à moins. Disons que je me suis forgé une espèce de Christ intérieur, “doux et humble de cœur”, en effet, mais purement humain, qui m’accompagne ou me guide ».
Le clivage croyant / agnostique ou chrétien / incroyant est souvent artificiel. Si les religions ont souvent intérêt à l’exploiter pour conserver leur troupe (et leurs ressources !), les “fidèles” le dépassent très facilement et presque spontanément quand ils se libèrent des autorités religieuses pour s’engager dans des actions. Si les religions restent souvent sectaires en étant attachées à des principes soit disant divins plus qu’à des valeurs spirituelles, à des dogmes plus qu’à la “fraternité”, beaucoup de “croyants” savent repérer l’essentiel de “l’amour” par delà le secondaire des “commandements” enseignés soit disant par le prophète. J’ai participé dernièrement à un colloque où se côtoyaient des femmes et des hommes de tous bords religieux et politiques, près de 500 personnes en tout. Il y avait des catholiques bien sûr mais aussi des protestants, des musulmans, des francs-maçons, des incroyants… Il y avait des militants engagés à gauche et à droite… Il y avait des anciens et des jeunes, des élus et des représentants dits de la “société civile” de toutes les régions de France. Tous savaient s’écouter, tous se respectaient, tous cherchaient à se comprendre, tous étaient extrêmement proches, tous pouvaient partager sincèrement leurs préoccupations profondes. Ils avaient cependant en commun une chose, essentielle. Non pas un prophète, non pas un Dieu. Mais le souci de l’homme, l’amour de l’Homme et c’est ce qui les rassemblait spirituellement: ils pouvaient ainsi tous envisager la « Politique au risque de la spiritualité[2] » sans aucune difficulté.
Pascal Jacquot
[1] André Comte-Sponville (A-t-on besoin d’une religion, Paris : les Éditions ouvrières) écrit aussi :
Au fond, à la lecture des évangiles, ce qui fait la valeur d’une vie humaine, est-ce le fait que la personne en question croit ou pas en Dieu, qu’elle croit ou pas en une vie après la mort ?
S’agissant de ces deux questions, la seule vérité, pour vous comme pour moi, c’est que nous n’en savons rien ! Croyants et incroyants, nous ne sommes séparés que par ce que nous ignorons.
Il serait paradoxal d’attacher plus d’importance à ce que nous ignorons, qui peut sembler nous séparer, qu’à ce que nous connaissons très bien, d’expérience et qui nous rapproche : ce qui fait la valeur d’une vie humaine, ce n’est pas la foi, ce n’est pas l’espérance, c’est la quantité d’amour et de courage dont on est capable
[2] Thème du colloque