La fraternité jusqu’à aimer ses ennemis
Ce texte émane du travail d’une commission de l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) dont je suis un des membres. Mais précisons d’emblée ce que recouvrent les mots fraternité, aimer, et qui sont les ennemis.
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De la fraternité à l’amour
La Déclaration universelle des droits de l’homme affirme dans son article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Même si certains pays comme la France ont retenu ce terme dans leur devise républicaine, l’exercice de la fraternité entre citoyens peut difficilement être régi par des lois.
Une définition de la fraternité est « l’amour universel qui unit tous les membres de la famille humaine ». Ainsi l’on passe de la fraternité à l’amour. La maxime : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas que l’on vous fasse » constitue la règle d’or, sorte d’éthique morale généralement admise par la plupart des religions et cultures. Dans l’amour pour ceux qui nous aiment, les relations amoureuses, l’amour pour nos frères, pour nos amis, pour notre peuple, l’amour peut se manifester pareillement chez un croyant, un agnostique ou un athée.
Qu’en est-il de l’amour chrétien ?
Il va au-delà de ce qui est communément compris. Ce n’est pas sentiment, affection ; il n’est pas fondé sur la sympathie, l’affinité pour d’autres personnes qui nous ressemblent. Il n’est pas non plus une vertu morale que l’humain chercherait à atteindre par des actes, dans le but final de conforter son amour de lui-même.
L’amour chrétien est en effet un commandement et de ce fait son exigence est sans fin : il concerne la volonté ; il est un absolu, qui exige le renoncement à nos tendances, désirs, sympathies, de même qu’à nos aversions, antipathies, haines ; il est uniquement tourné vers l’autre, concerné par l’autre. Cette façon de nous comporter avec nos prochains ne nous vient pas naturellement ; elle exige même des efforts de notre part, mais nous savons que sur notre chemin d’obéissance au commandement, nous ne sommes pas seuls. L’Évangile nous a révélé que le préalable à ce que nous aimions nos frères est accompli par le fait que nous sommes aimés de Dieu. Jésus réunira l’amour de Dieu et l’amour du prochain en un ensemble indissoluble. L’on pourrait définir par conséquent la fraternité, au sens où l’entendent les chrétiens, comme « être frères et sœurs par Dieu ». Considérant que l’amour pour ceux qui nous aiment « va de soi », Jésus nous amène à franchir un pas supplémentaire, pour en arriver à « aimer nos ennemis ».
Mais qui sont ces ennemis ?
Au temps de Jésus, ils pouvaient être le pouvoir politique romain, les partis ou personnes attachés à l’ordre et ayant peur du caractère révolutionnaire de la nouvelle doctrine, les autorités religieuses considérant Jésus et ses disciples comme des transgresseurs de la Loi. Aujourd’hui, sans oublier les terroristes et extrémistes de tout bord, ils pourraient, par extension, représenter tout simplement des personnes différentes de nous : n’ayant pas les mêmes choix politiques, religieux, moraux ou civiques ; le même statut social ; la même culture ou éducation ; les mêmes goûts artistiques ; la même langue.
Avouons que pour la plupart d’entre nous, ce concept est loin d’être évident ou naturel ; il est même choquant. Même pour un croyant, la conception du bien et du mal amène naturellement à penser qu’aimer son ennemi est contraire à la loi de Dieu et que cela constitue par conséquent un insupportable objet de scandale.
Que signifie aimer ses ennemis ?
Si nous voulons suivre le Christ, ou vivre en disciples, nous devons par conséquent nous imprégner de l’amour de Jésus-Christ, de Celui qui est allé pour nous jusqu’à la croix et qui sur la croix a prié pour ses ennemis. Par exemple à l’ACAT, nous travaillons sur les cas de victimes de tortures. Mais nous nous intéressons aussi aux auteurs de ces tortures, aux bourreaux, lesquels peuvent être assimilés aux ennemis. Nous nous battons d’abord pour que les auteurs de ces crimes passent en jugement et soient condamnés. Mais nous n’oublions pas que les bourreaux et les tortionnaires sont également des êtres humains, nos frères et sœurs devant Dieu, ce qui n’est pas toujours très bien compris, ni accepté.
Georges Heichelbech
(Extrait de la revue les Réseaux des Parvis numéro 114, janvier – février 2023)
Il me semble important de définir au préalable ce que sont pour nous les termes fraternité et ennemis.
Pour moi, la fraternité évoque une famille où nous percevons nos frères et soeurs humains comme égaux et proches de coeur.
D’étrangers qu’ils étaient , ils sont devenus des frères parce que nous avons annihilé la distance qui les tenait loin de nous, sans pour autant leur demander de renoncer à leur propre vision de la vie , à ce qu’ils sont.
Ainsi, un musulman pratiquant avec les cinq prières journalières et le ramadan, est ce que je le reconnais comme un frère ?
Qui sont mes ennemis ?
Bien sûr, ceux qui me causent du tort et me critiquent.
Mais aussi ceux dont je me méfie, dont je n’apprécie pas le comportement, le voisinage, ceux qui me dérangent, me font peur.
Et là, je peux voir que c’est ma perception de ces personnes qui peut être remise en cause. C’est ma propre vision , pas nécessairement objective qui attribue le terme ennemi à telle personne ou groupe et me fait la rejeter ou tenir à distance .
Ainsi, un sérieux travail intérieur peut me permettre de reconnaître mes peurs , jugements, qualifications et d’accueillir ou non celui que mon éducation , mon milieu social , ma culture considèrent comme étranger.
Cette ouverture du cœur qui m’est demandé pour aimer mes ennemis ne peur se faire que si en moi, l’ennemi a disparu dans une perception nouvelle de l’être humain tel qu’il est.
L’ ennemi est dans ma tête d’abord.
Est ce que je veux faire ce retournement ? Me libérer de mes peurs et de mes jugements? Apprendre à aimer ?
C’est à ce prix que la paix du cœur , mais aussi autour de moi, dans ma famille , mon entourage , donc dans le monde , peut advenir sur terre.
Michel D