Guillaume de Fonclare, Ecrivain;
La vie de foi est un chemin, et même parfois un chemin de crête. Entre la joie d’apporter sa participation à une église et le carcan que peut devenir ce sentiment d’appartenance ; entre une spiritualité vivante et un grand flou dans lequel seules ses émotions le dirigent, le chrétien doit d’abord apprendre à être libre.
Considérables sont ceux, qu’ils soient servants ou fidèles des Églises, qui s’affligent de la diminution sensible du nombre de croyants qui se disent appartenir à une religion et qui pratiquent dans ce sens. La religiosité recule d’une manière qui paraît inéluctable , au profit de la spiritualité, qui s’affranchit du dogme et des doctrines et qui permet à tout un chacun de s’inventer une relation au Ciel unique et personnelle. Fatras de convictions hétérodoxes pour les premiers, signe de la plus grande liberté pour les seconds , la spiritualité vécue comme une expérience de l’Ineffable à la portée de chacun porte en soi les ferments d’une indépendance intérieure qui n’obéit à d’autres lois que celles qu’on se fixe pour soi-même. En ce sens, la spiritualité est éminemment une affaire intime qui ne regarde que soi, et qui ne répond à aucune contrainte extérieure, ce qu’exige par ailleurs la pratique d’une religion. Être membre d’une église, c’est satisfaire favorablement à la nécessité de croire en respectant un dogme et un certain nombre de commandements qui orientent l’usage. Si je cultive ma spiritualité en allant à l’office du dimanche, je n’en demeure pas moins constituant d’une communauté qui a ses lois : pour un chrétien, vénérer le Christ rédempteur et ressuscité, faire siennes les injonctions du Décalogue, obéir à l’autorité morale d’un prêtre, d’un pope ou d’un pasteur, quand bien même les rôles de ceux-ci sont divers et ne correspondent pas à des impératifs identiques.
Un édifice intime
Certes, être pratiquant, c’est aussi nourrir une dimension spirituelle. Mais beaucoup, désormais, préfèrent n’invoquer que cette dimension-là, au détriment de tout un corps de doctrine qui encadre la vie des croyants impliqués dans une église . Et d’aucuns de se faire, à leur échelle et à leur image, leur propre représentation de la divinité, de se construire leur petit missel personnel, avec leurs propres prières, leurs propres usages, et de s’inventer une relation personnelle à Dieu qui ne s’embarrasse ni de contraintes ni de carcans d’aucune sorte. Je ne dis pas que vivre en religion est un carcan, non. Mais il faut reconnaître qu’intégrer une communauté qui a son dogme et sa doctrine est une autre affaire que de bâtir un édifice intime d’expériences spirituelles , certes nourries de lecture ou d’échanges avec ses contemporains, mais ne répondant à aucune autre règle que celles régissant son for intérieur. Et que dire des pratiques de développement personnel censées enrichir cette spiritualité intérieure qu’on voudrait unique et libre de toute interférence religieuse ? Méditation, sophrologie, randonnée, même, sur les chemins de pèlerinage, sont les outils modernes pour activer ou améliorer son expérience spirituelle, en toute liberté. Bien sûr, ces usages demandent souvent discipline et détermination pour s’assurer d’un résultat, qui se traduit par un enrichissement de l’âme , cela ne fait aucun doute . Mais quid de l’obligation morale qu’exige l’appartenance à une église et à son corps de doctrines ? L’exercice spirituel, délivré de tout rituel, de toute nécessité autre que celle de se sentir bien, n’est-il pas alors le lieu de tous les petits arrangements, de toutes les petites compromissions ?
Accepter d’être accompagné
Si je crois en Dieu, qu’il me fut dévoilé par l’Église catholique, protestante ou orthodoxe, et que je pratique, prie, participe à l’office en respectant l’impératif de dévotions qu’il convient pour faire partie intégrante de la communauté, j’accepte un cadre qui oriente ma façon de faire, ma manière d’être. J’accepte, en somme, d’être accompagné dans ma démarche spirituelle, et de croire en toute bonne foi au credo de mon Église . La spiritualité, elle, ne s’embarrasse guère de cadre ; elle va et vient au gré de mon humeur, changeant au fil de mes rencontres et des conversations, de mes expériences , fussent-elles mystiques. Elle est certes vivante, mais d’intensité variable . Un jour, je me gronde, un autre, je m’absous d’un petit péché, un matin, je me réprimande d’une petite malhonnêteté, l’après-midi,
je loue ma capacité à pardonner une parole déplacée. Un jour, je prie, un autre, j’oublie, un matin, je m’abandonne en extase, l’après-midi, je jure dans les bouchons. Certes, nous en sommes tous là, quelle que soit notre façon de pratiquer, et ceux qui se disent « religieux » ne sont pas exempts de ces soubresauts de l’âme. Néanmoins, le cadre qu’ils se sont fixé détermine la route, et permet d’éviter certaines chausse-trappes. Car la spiritualité se fait consumériste, elle vient nourrir les rayons des librairies, entre psychologie et développement personnel ; la religiosité, quant à elle , a ses propres références littéraires, communes et acceptées par tous, et qui constituent le corps de la doctrine chrétienne. Liberté d’agir et de penser d’un côté, cadre et pratiques bien définies de l’autre. C’est seulement dans cette conscience d’être que se place l’existence du croyant, qui choisit dès lors en toute liberté sa façon de croire, de vivre et d’espérer.
Hebdomadaire Réforme n° 3947