♣ Par Claire CARTON
J’ai rencontré l’extrême détresse, celle du Travailleur Pauvre, de cette nouvelle pauvreté que l’on découvre de nos jours avec stupéfaction.. et cette situation, c’est dans mon école que je l’ai découverte, c’est celle d’une employée de l’État, exerçant une mission dans le cadre de la Fonction Publique !
Souvenez vous, il y a une dizaine d’années, la gauche au pouvoir avait institué les « Emplois Jeunes », ils travaillaient (entre autre ) dans les écoles, à remplir des tâches administratives ou d’encadrement éducatif sous le contrôle des enseignants ; ils recevaient une formation et un soutien à leur recherche d’emploi.
Ces contrats existent toujours, mais sont ouverts à un public très divers, non qualifié ; la formation professionnelle et un suivi pour la recherche d’emploi leur sont inexistants ; ces personnes travaillent 24 heures par semaine, toujours sur des tâches administratives ou d’appui aux enseignants. Ils gagnent 800 € par mois, et ne sont pas payés lorsqu’ils sont malades. Dans mon école, elles sont deux ; l’une a la trentaine, un projet professionnel qu’elle gère sans aucun soutien officiel. L’autre a la cinquantaine, un passé professionnel de secrétaire comptable, et de chômage. Et elle accumule les difficultés. Elle est travailleur handicapée: (surdité partielle appareillée mais d’une façon très inconfortable : son appareil siffle lorsqu’il y a du bruit.. ) c’est déjà une belle erreur de casting de l’avoir proposée dans une école peuplée d’enfants qui ne communiquent pas vraiment en chuchotant. Divorcée, seule avec son fils dont elle redoute de se voir retirer la garde à cause de ses problèmes financiers. Des soucis pour sa fille mariée avec un homme violent. Et puis ce contrat pourri dans l’Éducation Nationale, où elle redoute de tomber malade car elle ne sera pas payée ; elle me l’a expliqué lorsque je lui ai demandé avec stupéfaction pourquoi elle venait travailler avec une otite.
Elle a malheureusement dû se faire hospitaliser puis rester en congés maladie plusieurs semaines pour une hernie cervicale ;et le service payeur ( c’est le service comptabilité d’un lycée qui a hérité de la gestion de ces contrats ),a fait des erreurs de trop perçu, ce qui peut arriver. Mais cette personne a voulu régulariser en se trompant à nouveau dans la somme à réclamer : elle en demandait le double, presque un ½ mois de salaire, et ne voulait rien entendre des protestations de l’intéressée. C’est sans doute tout cela qui a déclenché la crise de spasmophilie qui l’a fait tomber, juste en face de ma classe un matin avant l’arrivée des élèves… elle est restée allongée une heure, dans mes bras, par terre, raide et secouée de tremblements d’angoisse.
Et un matin, elle m’a expliqué que la secrétaire comptable avait reconnu son erreur, mais lui avait retiré d’un coup le trop perçu, ce qui lui laissait 300 € pour vivre le mois, alors qu’elle avait déjà une facture de 700 € qui l’attendait. Elle m’a dit qu’elle allait démarrer une grève de la faim. Nous l’avons soutenue et réconfortée comme nous pouvions ; elle n’est pas venue travailler l’après midi ; et le lendemain elle a fait une tentative de suicide qui l’a laissée plusieurs jours en réanimation.
C’est évident que cette personne, de santé physique et mentale fragile cumulait les difficultés sociales ; mais j’ai pu mesurer son immense sentiment d’abandon en essayant de l’aider : la plupart de mes interlocuteurs ( service social de l’E.N., cadre du Rectorat, syndicat…) m’ont dit ne pas être compétents pour sa situation et « ne pouvoir rien faire » : ce statut privé au sein d’un service public lui ferme toutes les portes.
Le SGEN, consulté aussi, m’a conseillé de faire appel au médiateur de l’Éducation Nationale ( ça existe ?!) Les services sociaux extérieurs se mobilisent, heureusement…mais … faut – il boycotter et refuser dans nos écoles ces postes pourris ?
Claire CARTON (avril 2009)