Une semaine, une semaine complète pour soi (ou une quinzaine, ou un mois). S’offrir une semaine pour s’écouter, écouter son essentiel, quelle chance ! Oui, je me suis offert une semaine. C’est si peu et c’est déjà tellement. Je devine que peu peuvent se le permettre. Car il y a le quotidien à satisfaire, l’indispensable à assurer. Prendre une semaine sur ses vacances, prévoir une semaine sur une disponibilité, c’est un choix qu’il faut assumer et cela demande beaucoup de détermination. Et bien j’ai fait ce choix dernièrement et je ne le regrette pas, vraiment pas.
Lâcher ses occupations habituelles, son rythme quotidien. Ne pas avoir de rendez-vous, ne prévoir aucune invitation, aucune rencontre, se faire “absent” pour n’avoir aucune obligation, aucune visite. C’est créer une horloge qui n’a plus de rouage. Une horloge qui offre à l’esprit les délicatesses du ciel comme cadeaux, ses rayons de soleil, ses fines gouttelettes de pluie. C’est se sentir libre, libre d’agir, de penser, d’écrire quand on veut, de vivre comme on le désire. C’est surtout ne plus compter le temps donné pour pouvoir écouter, s’écouter d’abord, non pas avec des mots passe-partout mais avec des mots qui nous portent et une petite voix qui sourd du plus profond de nous-mêmes. Pour pouvoir aussi jeûner …
Attentif à ce que je vis, j’essaie d’être plus respectueux du corps qui me porte, j’écoute ses besoins et je lui permets de se rénover, de se rajeunir et de se débarrasser des toxines qui l’encombrent, qui l’ankylosent. Avec le souci de lui éviter un engourdissement progressif, j’offre à ce corps, mon plus fidèle compagnon de tous les instants, une nourriture saine et légère ou mieux encore un repos vitalisant par le jeûne.
Libre, détendu, sans contrainte, je m’assieds comme il me plait, dans un endroit que j’apprécie… J’observe, j’écoute… J’entends mon cœur battre avec son rythme régulier. Je sens ma respiration monter, descendre ; inspiration, expiration ; un, deux, un, deux… Paisiblement je recommence, je veille à suivre ma perception, je respire… “J’inspire, j’expire… J’inspire, je sens les côtes qui se dilatent, j’expire, je me repose, je suis bien… “. Et je recommence et je recommence…
Toujours attentif au souffle d’air qui rythme mon recueillement, à l’écoute de la vie qui jette des bulles en moi, je reste moi-même, je médite, accueillant presque froidement, en tout cas le plus objectivement possible, non pas mes sentiments que je maitrise mais ce que je suis invité à observer. Je ne tombe pas dans l’euphorie, je discerne le beau, je l’admire; je ne sombre pas dans la colère, je spécifie le mal, je le combats. Je distingue la sincérité et l’hypocrisie, l’amour et le mépris, le partage et l’égoïsme. Et je prends conscience de ce que je suis, avec toutes ses couleurs et toutes ses ombres, je suis au cœur de ce qui est moi, sans procès ; je sens un peu plus ce que je suis ; je prépare un peu mieux ce que je deviens.
Au milieu de cet espace, au milieu de ceux avec qui j’ai parcouru le voyage de cette vie, des inconnus, des êtres aimés, des pionniers, des saints mais aussi des ladres et des méchants, comme la fleur, comme l’écureuil, je sens que je fais partie intégrante de cet univers merveilleux et encore secret qui m’entoure ; je sais aussi que je m’y effacerai, que je m’y dissoudrai, que je tomberai en poussière dans l’humus après l’avoir nourri de mes propres racines, de mon propre travail. Je continuerai certainement à nourrir la création et je ne serai ni plus, ni moins que maintenant, je serai autre et je resterai un peu l’essence qui participe à la vie du monde. Comme la mère que j’ai tant aimé, comme le père que j’ai tant admiré, comme le frère que j’ai tant essayé de comprendre ; comme le baudet qui m’accompagne ou la salade qui me nourrit; chacun à notre niveau, à notre mesure; je suis, nous sommes la création ; je resterai, nous continuerons le chemin… Je vis déjà avec ce que certains appellent Dieu. Et nous demeurons. Avec tout, avec tous, à travers le temps, au delà de l’horizon …
J’entends parfois pleuvoir des réactions qui critiquent ou même qui me jugent mais j’essaie de les laisser glisser sur moi sans me laisser mouiller. Car j’ai comme les pieds alourdis par la glaise d’une vie concrète de labeur, j’ai les mains un peu usées par toutes les adversités rencontrées, j’ai la tête remplie de projets assumés et j’ai surtout le cœur gonflé de transparence, de confiance … Je me sens bien ancré dans la vie et je serai un artisan actif du monde tant que je le pourrai. Mais je me sens aussi autre, relié à ce mystère que Marcel Légaut exprime ainsi : “ce qui est de moi, qui ne pourrait pas être sans moi et qui est plus que de moi” .
Pascal JACQUOT