De jeunes tourtereaux sont amoureux. Voilà un sentiment à la fois commun et merveilleux et nous nous en réjouissons. Mais que ce jeune couple se marie « pour la vie » et nous serons plus circonspects car nous savons, surtout à notre époque, toutes les difficultés de la vie à deux dans la durée …
Un jeune très ouvert et courageux souhaite s’investir pour les autres. Nous admirons sa générosité et son altruisme. Mais qu’il s’engage dans la prêtrise « pour la vie » et nous craindrons peut-être pour sa témérité.
Des parents conduisent leur enfant dans les fonds baptismaux. S’il s’agit d’un engagement des parents qui veulent partager leur foi, nous nous associerons à leur fête. Mais que, par ce baptême, l’Eglise engage un bébé « pour la vie », nous nous étonnons de cette mainmise … Même si le bébé devenu adolescent renouvelle par la suite les promesses de son baptême. Quelles promesses ? Pas les siennes évidemment.
Tous signent la bonne foi de leur engagement sur des registres … Mais ne faut-il pas être présomptueux pour s’engager ainsi « pour la vie » à 20, 25 ou même 30 ans ? Or l’intuition spontanée des jeunes générations qui repoussent cet engagement n’est-elle pas plus sage que les règles des institutions ancestrales qui l’imposent « pour la vie » ? …
Il y a peu, un fils de catholique était baptisé catholique, un fils de protestant, baptisé protestant, un fils de musulman, baptisé musulman et personne ne peut ignorer le contexte sociologique de la naissance qui, tout à fait naturellement, insère un nouveau-né dans son milieu. S’il ne s’agit que d’une coutume qui favorise ou facilite l’adoption d’un enfant dans sa communauté, nous l’apprécions bien évidemment. Mais que cette communauté utilise progressivement et au fur et à mesure des siècles son installation sociale pour s’imposer auprès d’une rivale, nous le constatons alors pour le déplorer. Par exemple quand elle consolide son emprise en « récupérant » par le baptême, peu après la naissance, les enfants de ses membres … Quand elle demande à un conjoint de se convertir pour que ses enfants soient acceptés … Quand elle impose le célibat à son clergé pour éviter tout démembrement de ses biens par héritage …
Il y a peu, un fils de paysan devenait paysan, un fils de médecin était orienté dans le monde médical, un fils de famille nombreuse dans une bonne famille chrétienne était appelé à la voie sacerdotale ! Mais l’amélioration des conditions de vie et l’évolution de la culture, permettent aujourd’hui à chacun d’élargir ses choix. Il est maintenant à peu près admis que la liberté et le respect des choix de chacun sont essentiels pour l’épanouissement individuel. On ne s’étonne pas qu’un fils de médecin devienne paysan, on ne s’offusque pas qu’un fils de catholique devienne moine bouddhiste. Et c’est heureux.
Mais des poches de résistances se constituent dans les milieux qui cherchent à conserver –inconsciemment ?- leurs privilèges. Pourquoi les parents sont-ils encore encouragés à baptiser « pour la vie » leur enfant très jeune ? Pourquoi un divorcé remarié est-il encore exclus de la communion « pour la vie » ? Pourquoi un prêtre doit-il encore rester célibataire « pour la vie » ? Sur ces points et bien d’autres la position de l’Eglise catholique est figée alors que le message évangélique est, pour sa part, très accueillant et très ouvert !
Pourquoi ne pas substituer à l’engagement dogmatique « pour la vie » un engagement responsable, progressif, par étapes et par contrats successifs ? Un engagement qui éduque, qui permet de se construire petit à petit, en fonction de son évolution, de ses difficultés, de ses intérêts ou goûts ? Les amoureux pourraient se promettre fidélité, trois ans d’abord par exemple, puis dix ans quand ils accueillent le premier enfant pour l’élever ensemble ; les parents s’engageraient ainsi aussi longtemps qu’ils le souhaitent mais ils n’engageraient jamais leur enfant à sa place; le prêtre renouvellerait son choix de ministère tous les cinq ans … Au terme de leur contrat, les uns et les autres pourraient le reconduire, le poursuivre, le consolider et le mûrir … Ils pourraient aussi prendre une autre voie sans se renier, sans rompre une promesse, sans être des lâches, sans se culpabiliser d’avoir évolué dans leur cheminement parce qu’ils ne se veulent pas hypocrites, parce qu’ils préfèrent agir sans se cacher …
Que les Eglises imposent leurs règles, on peut ne pas les partager et souhaiter les faire évoluer mais il nous revient aussi de respecter les particularités des différentes communautés. Par contre, comment se fait-il que la société civile laïque, au service du public en général, ait copié aussi servilement les méthodes religieuses ? Pourquoi le mariage civil est-il aussi imposé légalement « pour la vie » ? Actuellement, une fois sur deux au moins, il se conclut par un divorce qui est souvent difficile et toujours douloureux non seulement pour les « ex » mais aussi pour les enfants. Pourquoi ne se consomme-t-il pas d’abord pour un temps limité, avec une durée précisée à l’avance, puis avec un autre temps, le temps de se construire, le temps de progresser, le temps de se respecter et de respecter ses enfants ? Et dans la liberté, dans l’harmonie, pour le bonheur de tous. Et peut-être même, pourquoi pas finalement, « pour le reste de la vie », nous le souhaitons vraiment.
Pascal JACQUOT