Nos fêtes de tradition chrétienne ne sont-elles plus qu’un moment de surconsommation disculpée ? Pourtant, si le besoin de merveilleux, le plaisir de la surprise, de l’inattendu, de la récompense après l’effort s’expliquent facilement et peuvent se justifier, l’illusion, la tromperie, le mensonge ne peuvent que décevoir !
« Or Noël n’est pas la fête des enfants. C’est la fête des cadeaux et des marchands de jouets, de l’égoïsme familial, de l’avidité, de la convoitise. À peu près le contraire de ce qu’il faudrait enseigner à nos enfants. » [1]
Que Jésus soit Dieu, c’est ce que j’ai cru durant mon enfance. Comme j’ai cru à St Nicolas qui venait pendant la nuit du 6 décembre avec son âne et pour qui je préparais un bol d’avoine que je retrouvais vide le lendemain. Je présumais qu’il déposait un cadeau pour chaque enfant à la maison pendant la nuit ; un maigre cadeau mais un cadeau utile : des crayons de couleur pour dessiner, une chemise ou des chaussettes pour s’habiller, quelques dattes pour compléter le repas familial, et parfois un jeu collectif comme celui des petits chevaux.
Enfant, je n’ai par contre jamais cru au père Noël qui n’était même pas évoqué dans mon milieu familial. Car ceux qui m’enseignaient la divinité de Jésus me transmettaient quelque chose qu’ils tenaient eux-mêmes pour une vérité essentielle, qui éclairait leur vie et leur cœur. Aucun mensonge, aucune hypocrisie ne les habitait !
« Le contraire du Père Noël, c’est quoi ? Un enfant plutôt qu’un vieillard. Pauvre plutôt que riche. Caché plutôt qu’exposé. Nu plutôt que déguisé. Enfin qui n’a rien à vendre, ni même rien à donner, en tout cas rien de matériel – rien d’autre, plus tard, que sa vie et son amour. Le contraire du Père Noël, c’est Jésus-Christ : l’enfant nu, entre le bœuf et l’âne ; l’innocent qui est crucifié, entre deux voleurs, parce qu’il a annoncé publiquement un message d’amour … La Crèche et le Calvaire. Ces deux images sont légitimement les plus fameuses de cette belle histoire » [1] .
Fils de Marie et de Joseph, Jésus a comme tout un chacun un vrai père et une mère dévirginisée. Jésus, enfant de Dieu ? Pourquoi pas ! Mais comme tous les enfants du monde qui sont aussi appelés à partager une éternité ! Cet espoir me donne en effet un modèle et une perspective.
Pour moi, Noël, c’est simplement –à l’occasion du solstice d’hiver- s’incliner devant un enfant sans puissance aucune; et c’est aussi reconnaitre l’humble humanité en marche. Les Rois mages ne s’y trompent d’ailleurs pas : tout leur or, tous leurs diamants sont sans valeur aucune, s’ils ne se mettent au service de cette faiblesse-là, de cet amour-là, qui sont le vrai Dieu.
Car Dieu n’est pas un être barbu à la forme humaine. Dieu, c’est l’amour, c’est l’inimaginable ou alors, comme le chante Lara Fabian :
« Dieu, c’est le souffle du vent dans une feuille,
c’est le sourire de ma fille,
c’est cette merveilleuse orchidée devant nous sur cette table
Dieu, c’est vous, c’est moi,
c’est chaque homme et chaque femme sur cette terre ».
Et Pâques, c’est au printemps, la vie qui renait, qui continue après l’hiver sous une autre forme. Jésus ressuscité ? Non pas puisque même ses disciples ne le reconnaissent pas. Mais simplement renouvelé et encore vivant car en réalité pas vraiment « mort »! Un espoir pour moi, pour nous, car comme Jésus, si notre corps meurt, notre chemin ne s’arrête pas …
Alors si Jésus n’est pas Dieu, ni fils de Dieu, ni ressuscité…, je ne l’en apprécie que davantage. Fils de l’homme, comme il se disait lui-même, Jésus a été engendré, est né d’une femme, comme nous tous, est mortel, comme chacun de nous et continue à vivre autrement par-delà la mort comme je l’espère pour moi, pour vous, pour tous ceux que j’aime. C’est en quoi il est vraiment notre frère et nous offre un chemin. En marmonnant sur la croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », il partage ainsi notre détresse, notre souffrance, notre angoisse, notre désespoir peut-être.
Si Noël marque la faiblesse, la fragilité, l’humanité de Jésus, Pâques marque la victoire, la toute-puissance par-delà la mort. Jésus a une famille, a d’abord été aimé, et a ainsi pu apprendre à aimer. La grâce d’être aimé précède la grâce d’aimer, et la rend possible. Ce que Jésus symbolise ? La primauté de l’amour, même faible, même vaincu, même humilié, même supplicié.
Nos crèches et nos calvaires sont donc peut-être plus vrais que nos catéchismes !
Pascal JACQUOT
[1] André Comte-Sponville, philosophe