Par Hervé ROUVEURE – 07 Lamastre
Pièce de théâtre (version à 3 acteurs)
.
Synopsis : La famille Martin a décidé de passer le réveillon de Noël dans une ferme isolée d’Ardèche dans laquelle le grand-père a passé autrefois sa jeunesse. Après une nuit, passée à l’hôtel le plus proche, le grand-père et sa petite fille montent à pied tandis que le reste de la famille montera en voiture un peu plus tard.
Mais les deux randonneurs s’égarent et ne retrouvent plus le chemin. Qui les sortira de ce pétrin ?
.
Texte d’introduction
Quoi de plus original pour une famille parisienne que de venir réveillonner dans la vieille ferme ardéchoise où le grand-père a vécu sa jeunesse ? Après le long et pénible trajet, surtout les 30 derniers km, la famille passera la nuit dans l’hôtel du bourg le plus proche et le lendemain, frais et dispos, on montera à la ferme pour préparer le réveillon.
Mais pourquoi faut-il que le grand-père ait soudain l’idée saugrenue de grimper là-haut à pied et non en voiture avec les autres ? Nostalgie de retrouver le terroir de son enfance ? Peut-être. Envie de faire découvrir SON pays à sa petite-fille qui l’accompagne ? Sûrement.
Seulement voilà : ils sont loin dans sa mémoire les chemins d’autrefois et la nature a parfois repris ses droits.
Dix km à pied, ça use, ça use, dix km à pied, ça use, non seulement les souliers, mais les nerfs aussi.
Je vous invite à découvrir : « Les égarés de Noël ».
.
NOTES
Décor : plusieurs sapins et 2 ou 3 rondins sur lesquels on peut s’asseoir.
Le grand-père :
– tenue de randonnée : chaussures, pantalon à poches multiples, veste de randonnée
– Sac à dos de marche
– Un papier chiffonné
– une montre
– un GPS
– une clé
– 2 tranches de pain d’épices
Zoé :
– tenue de ville : escarpins, pantalon, chemisier et petite veste élégante
– Sac à dos élégant
– téléphone portable (dans la poche de la veste)
– flûte (dans le sac à dos)
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
Le grand-père arrive sur scène, il tient un papier à la main et regarde dans toutes les directions comme s’il cherchait quelque chose. On entend la voix d’une jeune fille.
Zoé : Grand-père ! … (puis sur un ton plus inquiet) Grand-père !
Grand-père : (sur un ton rassurant) Oui, je suis là.
(La jeune fille arrive, légèrement essoufflée ; grand-père range précipitamment son papier)
Zoé : Tu pourrais m’attendre quand même ! Je te signale que je ne connais pas le chemin, moi ! Et en plus, ça grimpe dans ton pays !
Grand-père : N’exagère pas ! J’avais tout juste dix mètres d’avance. (Il se dirige vers le fond à gauche)
Zoé : Peut-être, mais dans tous ces arbres, je ne te voyais plus. On est arrivé ?
Grand-père : Oui, … presque. (Il se dirige vers le fond à droite)
Zoé : Grand-père, ça fait au moins trois fois que tu me dis « oui, presque » ! Alors c’est « oui » ou c’est « presque » ?
Grand-père : C’est « presque », mais à mon avis, tu vois, on n’est plus très loin. (Il se dirige vers l’avant à gauche)
Zoé : Dis, ça fait déjà 2 heures qu’on marche !
Grand-père : N’exagère pas ! On est parti à 8h du bourg en bas. (Il se dirige vers l’avant à droite)
Zoé : (Elle regarde sa montre et la lui fait voir) Et il est presque 10 heures !
Grand-père : (Il regarde sa montre) Tiens ! C’est vrai.
Zoé : Tu avais dit qu’il fallait à peine plus de deux heures pour arriver à la ferme où on doit réveillonner ce soir.
Grand-père : Oui, mais tu ne marches pas, tu traînes, tu lambines avec tes escarpins, tu t’arrêtes toutes les dix minutes pour souffler. Comment veux-tu qu’on avance ? (Il se dirige vers le fond à gauche)
Zoé : C’est pas vrai, on ne s’est arrêté qu’une fois, deux minutes pas plus, juste pour regarder le paysage. Et c’est TOI qui as proposé de s’arrêter, pas moi.
Grand-père : Peut-être ! N’empêche que tu souffles comme une vieille de 60 ans. Moi, à ton âge…(Il se dirige vers le fond à droite)
Zoé : Grand-père, tu pourrais me dire ce que tu regardes sans arrêt autour de toi ?
Grand-père : J’ai un souci… un petit souci. (Il se dirige vers l’avant à gauche)
Zoé : Un petit souci ? Qu’est-ce que tu veux dire ? … Grand-père, c’est quoi ton petit souci ?
Grand-père : Eh bien tu vois … Je ne sais plus très bien où on est. (Il se dirige vers l’avant à droite)
Zoé : Quoi ?
Grand-père : (Il revient vers Zoé) Le paysage a pas mal changé depuis la dernière fois que je suis passé par là. Les arbres ont poussé, je ne reconnais plus grand-chose.
Zoé : Et c’était quand « la dernière fois » ?
Grand-père : ça doit faire … pas loin de 30 ans.
Zoé : Peut-être 40 même; parce que j’ai l’impression depuis un moment que tu n’as plus tout à fait la notion du temps qui passe.
Grand-père : C’est ça, dis que je débloque. (Il lui tourne le dos)
Zoé : Je ne dis pas que tu débloques, je dis que tu ne sais pas estimer le temps. Bon, qu’est-ce qu’on fait ?
Grand-père : (Il se retourne) Écoute, je crois qu’on va partir (Il hésite) … par là. (Il montre la direction par laquelle ils sont arrivés)
Zoé : Mais c’est le chemin par lequel on est arrivé ! On ne va pas redescendre quand même !
Grand-père : J’ai bien peur que si. J’ai dû me planter quelque part et il va falloir retrouver le bon chemin.
Zoé : Grand-père, je ne bouge pas de là ! (Elle s’assoit sur un rondin et enlève son sac à dos) La ferme est en haut, je refuse de redescendre !
Grand-père : Ma petite Zozo, …
Zoé : J’aime pas quand tu m’appelles « ma petite Zozo » !
Grand-père : Zoé, …
Zoé : Tu n’as pas une carte ?
Grand-père : Si ! … Enfin, …
Zoé : Eh bien sors-la !
Grand-père : J’ai bien peur que …
Zoé : Peur de quoi ? Sors ta carte ! … (Le grand-père fouille ses poches une à une en commençant par le bas) Grand-père, tu le fais exprès ou quoi ?
Grand-père : Ah ! La voilà. (Il sort le papier chiffonné et le montre à Zoé)
Zoé : Quoi ! (Elle se lève brusquement) C’est ça ta carte ? (Elle lui arrache le papier et le montre à tout le monde) Ce petit bout de papier griffonné ?
Grand-père : (Il reprend le papier délicatement) Ne t’énerve pas ! (Ils s’assoient tous les 2 et grand-père défroisse le papier) J’ai fait ça de mémoire hier soir, parce que la carte, la vraie, je l’ai oubliée à la maison. Avec tous ces préparatifs … Tu vois, ça c’est le bourg où on a dormi cette nuit ; ça, c’est la route que tes parents, ton frère et ta grand-mère vont prendre pour monter en voiture à la ferme …
Zoé : Les veinards ! Ils vont pas trop se fatiguer, eux !
Grand-père : Je te rappelle que je ne t’ai pas forcée à m’accompagner. Je t’avais prévenue que ce serait difficile.
Zoé : C’est mes parents qui m’ont forcée à t’accompagner. Papa a dit à maman (Sur un ton autoritaire) : « Je veux pas que ton père monte seul. C’est trop risqué ! S’il fait un malaise, on va passer un drôle de Noël. Quand est-ce qu’il va comprendre que les exploits sportifs c’est plus de son âge ! »
Grand-père : Ah ! Il a dit ça ton père ?
Zoé : Oui.
Grand-père : Et ta mère qu’est-ce qu’elle a dit ?
Zoé : Elle a dit (Sur un ton autoritaire) : « Zoé, tu accompagneras ton grand-père, on sera plus tranquille. Tu prends ton portable, s’il y a le moindre problème, tu appelles. »
Grand-père : Ah ! Elle a dit ça ta mère ?
Zoé : (impatiente) Grand-père, la carte ! On est où ?
Grand-père : Bon, ça c’est la route. D’ailleurs, regarde comme ça tourne sur plus de 10 km ; j’espère qu’ils auront pensé aux vomibags parce que des parisiens qui roulent en montagne ardéchoise, ça craint ! Et là, c’est notre chemin, tout droit, direct à la ferme.
Zoé : Tout droit peut-être, mais pentu le chemin! Et perdu ! Parce que tu l’as perdu le chemin grand-père ! Tu aurais pu prendre un guide au village !
Grand-père : (Il se lève brusquement) Un guide ! Moi qui ai habité le pays jusqu’à l’âge de 26 ans, l’âge où j’ai épousé ta grand-mère d’ailleurs. Prendre un guide, non mais j’aurais eu l’air de quoi ?
Zoé : (Elle se lève à son tour) Et nous, on a l’air de quoi, là, tous les deux ? Et puis c’est pas une honte de demander un guide ! Papa, il dit qu’on a toujours besoin d’un guide : pour les situations délicates, pour les choix difficiles, pour les coups durs.
Grand-père : Et bien moi, je n’ai pas besoin de guide ! Je vais te le retrouver ce chemin et dans moins d’une heure on est à la ferme. Avant les autres même, puisqu’ils ne quitteront pas le bourg avant 11h et demi. (Ils se rassoient)
Zoé : Tu as une clé au moins, parce qu’on va pas attendre là-haut devant une porte fermée.
Grand-père : Bien sûr que j’ai une clé !
Zoé : Fais-la voir !
Grand-père : Tu n’as pas confiance en moi ?
Zoé : (D’un air un peu honteux) Si … (Elle se lève) Non ! Montre-moi la clé !
Grand-père : (Il se lève et fouille ses poches une à une en commençant par le haut) Attends … attends … Tiens j’étais sûr que je l’avais mise dans cette poche … non, dans celle-là, … non plus … je te jure Zoé, je suis sûr que je l’ai prise …
Zoé : (excédée) Grand-père !
Grand-père : Ah ! La voilà ! (Il la montre ostensiblement)
Zoé : (En s’asseyant) De toute façon, si on ne trouve pas le chemin, on n’a pas besoin de clé.
Grand-père : (Il s’assoit aussi et remet la clé dans sa poche) Mais on va le retrouver le chemin, sois en sûre.
Zoé : Je voudrais bien savoir comment. Grand-père, j’ai peur !
Grand-père : Peur de quoi ?
Zoé : Je ne sais pas. De tout. A la montagne, on n’est jamais en sécurité.
Grand-père : Ah ! Parce que tu crois que dans ta ville tu es en sécurité ! Ici, tu ne risques pas de croiser un chauffard ou un petit truand qui te bousillera la vie pour un oui, pour un non. Il n’y a personne à 10 km à la ronde, alors de quoi ou de qui as-tu peur ? Franchement dis-moi !
Zoé : J’ai peur … (On entend un aboiement lointain) des loups !
Grand-père : Des loups ? Mais il n’ y a pas de loups en Ardèche !
Zoé : Si, ils l’ont dit l’autre jour à la télé.
Grand-père : A la télé, ils disent n’importe quoi !
Zoé : Pourtant, ils ont interrogé un témoin qui avait vu un loup.
Grand-père : Oui : ou un berger allemand, peut-être un caniche frisé ou un fox à poil ras !
Zoé : N’empêche que sur la route en venant, il y avait écrit partout : Non au loup !
Grand-père : Eh bien justement, quand le loup aura lu ça, il aura fait demi-tour, ou il sera passé en Lozère, ou en Gévaudan. Crois-moi, le Gévaudan c’est mieux pour les loups.
Zoé : Grand-père, tu racontes n’importe quoi !
Grand-père : C’est ta faute ! Tu te comportes comme une gamine ! Peur du loup, à 14 ans !
Zoé : 15 ! … (Il la regarde étonnée et elle lui montre 3 doigts) Dans trois mois !
Grand-père : Tu es bien une gamine à vouloir te vieillir de 3 mois ! Un jour, tu verras, c’est les années que tu chercheras à enlever !
Zoé : Grand-père ! (Elle se lève à nouveau brusquement) Tu as pris ton GPS ?
Grand-père : Bien sûr ! Je l’ai toujours avec moi quand je pars en balade ou à vélo.
Zoé : Ton nouveau ? Celui qui fait voir la carte et qui émet des signaux de repérage.
Grand-père : C’est sûr ! Le vieux : au recyclage !.
Zoé : Tu te rappelles : c’est papa qui a eu l’idée de te l’offrir à Noël, l’an passé.
Grand-père : Ton père, il y a des fois où il est for-mi-dable ! Le top du top son cadeau. Là, il m’avait fait vraiment plaisir.
Zoé : Il avait dit à maman : « il vaut mieux prendre un GPS ultra perfectionné, comme ça si ton père se perd un jour dans les bois ou a un accident sur la route, on pourra le retrouver plus vite ».
Grand-père : Ah ! Il a dit ça ton père ?
Zoé : Oui.
Grand-père : Et ta mère, qu’est-ce qu’elle a dit ?
Zoé : Elle a dit que 300 euro, c’était bien un peu cher pour un gadget pareil, mais bon …
Grand-père : Ah ! Elle a dit ça ta mère ?
Zoé : Grand-père, ton GPS, vite !
Grand-père : (Il fouille dans son sac à dos) Deux minutes, s’il te plaît !.
Zoé : Alors qu’est-ce qu’il dit ?
Grand-père : Il ne dit rien !
Zoé : Il dit rien ? (Elle se rassoit)
Grand-père : Non, l’écran est tout noir.
Zoé : Appuie sur le bouton « on/off », ça veut dire « marche/arrêt » en français.
Grand-père : Ça fait 4 ou 5 fois que j’y appuie dessus. Je ne suis pas débile !
Zoé : Tu sais t’en servir au moins ? Parce que les vieux et la technique, ça fait deux.
Grand-père : Bien sûr que je sais m’en servir ! Le problème n’est pas là.
Zoé : Alors, il est où le problème ?
Grand-père : J’ai dû oublier de le charger hier soir. Avec tous ces préparatifs ! La batterie a dû nous lâcher dans la montée.
Zoé : Grand-père, le seul truc qui pouvait nous sauver la vie !
Grand-père : (Il se lève indigné) Mon GPS c’est pas un truc, ni un gadget. Avec lui, je sais tout.
Zoé : (Moqueuse) Tu sais quoi ?
Grand-père : Ma distance, mon temps, ma vitesse, ma fréquence cardiaque, ma position exacte, l’historique complet de mes sorties, et même les calories que j’ai consommées. Tu te rends compte !
Zoé : (Elle se lève) Je me rends compte qu’on ne sait pas combien de km on a fait, ni à quelle vitesse (d’ailleurs je m’en fiche), qu’on ne sait pas où on est (mais ça, c’est important), que mon cœur va s’arrêter de battre si on ne retrouve pas le chemin et qu’à propos de calories, j’ai faim. Tu as pensé à prendre quelque chose à grignoter au moins ?
Grand-père : Dis-moi : si tu as encore un peu d’appétit, c’est que ça ne va pas si mal que ça ! Tu n’as rien pris, toi, dans ton sac ?
Zoé : Non !
Grand-père : Eh bien heureusement que je pense à tout, moi ! (Ils s’assoient) Tiens, j’ai pris deux tranches de pain d’épice !
Zoé : C’est tout ?
Grand-père : Et bien oui : une pour toi, une pour moi.
Zoé : (Elle en prend une et mange goulûment tout en parlant) Mais c’est le paquet entier que tu aurais dû prendre ! Avec des biscuits, des barres de céréales, de la pâte d’amande, du chocolat, et …
Grand-père : Oh ! Le réveillon, c’est pour ce soir. Si tu veux, je te donne ma tranche (Il la lui tend). Moi, tu sais, je n’ai pas besoin de beaucoup. J’ai l’habitude.
Zoé : C’est pour ça que tu es si maigre ! papa, il a dit …
Grand-père : Aïe, aïe, aïe ! Qu’est-ce qu’il a dit encore ton père !
Zoé : Il a dit que tu es maigre comme un clou, que tu es plat comme une limande, que tu es sec comme un coup de trique
Grand-père : Et ta mère, qu’est-ce qu’elle a dit, elle ?
Zoé : Elle a dit que bientôt on ne verra plus que tes os et ta peau.
Grand-père : C’est vrai qu’ils sont plutôt grassouillets, eux ! Ton père, il a même pris un petit bidon, ces derniers temps. Il faut dire que la bonne bouffe, ça les connaît. On dirait qu’ils ne pensent qu’à manger ! Petits gueuletons par ci, petits gueuletons par là ; et ce soir, au réveillon, tu vas voir, ils vont s’empiffrer, histoire de maintenir leur taux de cholestérol, de friser le diabète et d’entretenir leurs triglycérides. Ton père reprendra deux fois de tout et ta mère va manger trois tranches de bûche aux marrons sous prétexte qu’elle adore ça. Ils feraient bien tous les deux de se mettre un peu au sport plutôt que de s’aplatir devant la télé après les repas. Tu veux la deuxième tranche ?
Zoé : Non ! … Si. (Elle tend la main, le grand-père retire la tranche et le jeu se répète) Ça fait du bien quand même de manger, tu sais. Peut-être que c’est mon dernier repas d’ailleurs, comme les condamnés à mort.
Grand-père : Tu n’exagères pas un peu sur la situation. Allez, garde tout. (Il lui donne la seconde tranche) Je t’ai dit que j’ai l’habitude de manger peu.
Zoé : Tu es sûr que tu n’en veux pas un bout ? (Elle lui tend un minuscule bout). Tu feras pas une crise d’hydroglycéride au moins ?
Grand-père : D’hypoglycémie ? Mais non, rassure-toi.
Zoé : Toi, tu serais plutôt du genre « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger » comme dit Rodrigue dans le Tartuffe de Racine.
Grand-père : C’est un peu ça, sauf que j’aurais dit « Harpagon dans l’Avare de Molière », mais les choses ont tellement changé dans l’Education.
Zoé : Bon, (Elle se lève) je suis requinquée. Je peux faire encor 2 ou… 1 km. A condition de trouver ce chemin.
Grand-père : Laisse-moi réfléchir. (Il regarde sa carte et Zoé s’assoit pour regarder aussi) On a quitté le bourg, on est passé devant la ferme de Fontfreyde, on a longé le bois de Salette, on a tourné à gauche à la croix de Pragrand, on a traversé les châtaigniers de Rochecourbon, (tu vois que j’ai encore une bonne mémoire pour mon âge !), on a fait la pause au rocher de Fontbonne, on a traversé les prés du père Jeanpierrou et c’est juste après qu’on a dû se tromper.
Zoé : Que TU as dû te tromper.
Grand-père : C’est là que les arbres ont poussé et que j’ai plus rien reconnu parce qu’avant c’était cultivé, partout.
Zoé : Tu sais grand-père ; c’était peut-être pas une bonne idée de monter à pied ; on aurait mieux fait d’y aller en voiture avec les autres.
Grand-père : Avec ce beau temps ! Pour une fois qu’il fait doux la veille de Noël. Il y a des jours où je me dis que le changement climatique a du bon. Parce que quand j’avais ton âge, on ne risquait pas de monter à pied avec la burle qui commençait à Toussaint et qui finissait à Pâques ! Et puis la marche nous aura ouvert l’appétit pour ce soir.
Zoé : Et si je les appelais avec mon portable ? Maman, elle a dit…
Grand-père : Pour leur dire où nous sommes ? On ne le sait même pas nous-mêmes !
Zoé : Oui, mais comme ça ils pourront déclencher les secours, et les pompiers partiront à notre recherche, avec les gens du village et la sécurité civile et les hélicoptères !
Grand-père : J’aurais pas l’air ridicule ! Je vois déjà les titres des journaux : « Un grand-père, non !, un vieillard s’égare dans son pays natal ! »
Zoé : Ça vaut mieux que : « Un grand-père et sa petite fille meurent de faim, de froid et d’épuisement la veille de Noël ».
Grand-père : Tout ça à la fois ? Zoé, on ne va pas mourir aujourd’hui : ni de faim, ni de froid, ni d’épuisement. Fais-moi confiance, on va sortir de ce bois et je finirai bien par me reconnaître.
Zoé : Non ! J’appelle papa et maman ! (Elle fouille dans son sac et sort son portable)
Grand-père Zoé, laisse ce téléphone tranquille ! Moi, j’y vais ! (Il se lève, prend son sac et fait mine de partir)
Zoé : (Elle lui montre son portable) Tu vois, moi, la batterie, elle est chargée.
Grand-père Oui, bon ça va ! Tu viens ?
Zoé : Eh ! Grand-père, j’ai pas de réseau ! C’est quoi ce pays ?
Grand-père C’est un beau pays, avec encore quelques rares espaces où personne ne peut vous joindre et où vous ne pouvez joindre personne. Le calme, la paix, la sérénité, le silence. Le silence, tu vois, c’est un truc qui fait peur aujourd’hui. Les gens, ils leur faut un bruit de fond en permanence, ça doit leur permettre de ne pas réfléchir aux choses essentielles.
Zoé : (Sans écouter son grand-père) Pas de réseau, non, mais je rêve !
Grand-père : (Sans écouter Zoé) Tout le monde parle, personne n’écoute. Tu connais ce proverbe chinois ? « Parler est un besoin, écouter est un art. ».
Zoé : (Sans écouter son grand-père) Mais qu’est-ce qu’on est venu réveillonner dans ce bled ?
Grand-père : « Il est bon de parler et meilleur de se taire » (La Fontaine)
Zoé : Et puis comment je vais joindre les copines pour leur dire tous les cadeaux que j’aurai eus à Noël ?
Grand-père (Sans écouter Zoé) « Si on ne disait que des choses utiles, il se ferait soudain un grand silence dans le monde ».
Zoé : Oui, mais moi, j’ai quelque chose d’utile à dire : « je suis perdue ! Au secours ! »
Grand-père Au fond, ton portable déconnecté ne vaut pas mieux que mon GPS déchargé ! Gadget ! Gadget ! Téléphone aphone, GPS HS : c’est pas la technique qui nous sortira de là aujourd’hui.
Zoé : Ni toi non plus !
Grand-père C’est quoi cette boîte dans ton sac ?
Zoé : Ma flûte.
Grand-père Ta flûte ? Tu t’es bien chargée pour rien ! Elle aurait pu faire le voyage en voiture.
Zoé : Elle n’est pas lourde, et puis je ne la confie à personne. (Elle sort sa flûte et la monte)
Grand-père Si tu jouais un truc avant qu’on essaie de retrouver ce bougre de chemin.
Zoé : Je ne joue jamais de truc : je joue de la musique.
Grand-père Pardon, je ne voulais pas te vexer !
Zoé : Un cantique de Noël, ça te dit ?
Grand-père Oui. J’aime bien « Minuit chrétien ». C’est vieux, mais c’est beau.
(Zoé commence à jouer debout, le grand-père ferme les yeux pour mieux apprécier, mais soudain Zoé fait un « canard » épouvantable en voyant apparaître un enfant que le public ne voit pas encore, le grand-père ouvre les yeux)
Grand-père Dis-donc ça surprend !
Zoé : Grand-père, regarde derrière toi ! Je rêve ou quoi ?
(L’enfant entre)
L’enfant : Bonjour monsieur, bonjour madame.
Zoé : Bonjour. (Très fière) T’as entendu ? Il a dit : « MADAME » !
Grand-père : (Il se lève) Bonjour, mon garçon. Qu’est-ce que tu fais ici ?
Zoé : Tu t’es perdu, toi aussi ?
L’enfant : Non.
Zoé : Parce que nous on est perdu, paumé, complètement paumé.
Grand-père : N’écoute pas la DEMOISELLE, petit, elle dit n’importe quoi !
L’enfant : Vous êtes des touristes en randonnée ?
Grand-père : Non, non, moi je suis d’ici. Je suis né et j’ai vécu au hameau de Mirabel.
Zoé : Mais il y a tellement longtemps qu’il ne reconnaît plus rien !
L’enfant : Mirabel ? Mais c’est là où je vais.
Zoé : Et c’est loin ? Parce qu’on a plus de pain d’épice !
L’enfant : (D’un ton rassurant) Non, même pas 1 km.
Zoé : Ouais ! On est sauvé ! Comment tu t’appelles ?
L’enfant : Matthieu.
Zoé : Eh bien Matthieu, tu es notre sauveur !
Grand-père : Pff ! j’aurais pu te sauver moi aussi !
Zoé : Pas sûr, grand-père ! Quand on va raconter ça aux autres !
Grand-père : On ne dira rien, j’ai pas envie d’être ridicule. Et puis ton père et ta mère seraient capables de m’interdire de randonner seul, même avec un GPS chargé et un portable connecté.
Zoé : Tu sais, grand-père, je crois qu’on a vécu une parabole de Noël.
Grand-père : Ah, bon !
Zoé : Oui, tu vois, on était perdu, mais complètement perdu, un enfant arrive et nous sauve ; ça ressemble à Jésus qui vient dans ce monde pour nous sauver. Tu sais ce qu’il disait Jésus ? « Je suis le chemin ». En quelque sorte, ce garçon devient notre chemin. Nous pouvons le suivre en toute confiance comme tu peux suivre le Christ en toute confiance.
L’enfant : Bon, alors suivez-moi, il faut que je me dépêche, on m’attend.
Zoé : On te suit Matthieu.
(Rémi et Zoé sortent)
Grand-père : Je suis sûr qu’on va arriver avant les autres. On ouvrira la maison, … La clé ! Où est-ce que j’ai mis la clé ? Ah, si, la voilà. Zoé ! Matthieu ! Où êtes-vous ?
Zoé : (elle revient sur ses pas accompagné de Rémi) : On est là, grand-père ! Tu lambines, tu sais, tu lambines !
.
Merci de préciser vos appréciations ou impressions dans le livre d’Or, cliquer
.
Reproduction interdite sans le consentement de l’auteur :
Hervé Rouveure herve.rouveure@free.fr “